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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/109

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C’est là qu’est mon héros, dont le cœur et la tête
Rassemblent tout le feu qui manque à ses États ;
Mon héros, qui de Neisse achevait la conquête,
Quand tu fuyais de nos climats ;

Pourquoi vas-tu, dis-moi, vers le pôle antarctique ?
Quels charmes ont pour toi les Nègres de l’Afrique ?
Revole sur tes pas loin de ce triste bord
Imite mon héros, viens éclairer le Nord.

C’est ce que je disais, sire, ce matin au soleil votre confrère, qui est aussi l’âme d’une partie de ce monde. Je lui en dirais bien davantage sur le compte de Votre Majesté si j’avais cette facilité de faire des vers, que je n’ai plus, et que vous avez. J’en ai reçu ici que vous avez faits dans Neisse, tout aussi aisément que vous avez pris cette ville[1]. Cette petite anecdote, jointe aux vers que Votre Humanité m’envoya immédiatement après la victoire de Mollwitz, fournit de bien singuliers mémoires pour servir un jour à l’histoire.

Louis XIV prit en hiver la Franche-Comté ; mais il ne donna point de bataille, et ne fit point de vers au camp devant Dôle, ou devant Besançon ; aussi j’ai pris la liberté de mander à Votre Majesté que l’histoire de Louis XIV me paraissait un cercle trop étroit ; je trouve que Frédéric élargit la sphère de mes idées. Les vers[2] que Votre Majesté a faits dans Neisse ressemblent à ceux que Salomon faisait dans sa gloire, quand il disait, après avoir tâté de tout : Tout n’est que vanité[3]. Il est vrai que le bonhomme parlait ainsi au milieu de sept cents femmes et de trois cents concubines le tout sans avoir donné de bataille, ni fait de siège. Mais n’en déplaise, sire, à Salomon et à vous, ou bien à vous et à Salomon, il ne laisse pas d’y avoir quelque réalité dans ce monde.

Conquérir cette Silésie,
Revenir couvert de lauriers
Dans les bras de la Poésie ;
Donner aux belles, aux guerriers
Opéra, bal, et comédie ;
Se voir craint, chéri, respecté,
Et connaître au sein de la gloire
L’esprit de la société,
Bonheur si rarement goûté

  1. Le 31 octobre.
  2. Ce passage est cité et transcrit tome XXIII, page 399.
  3. Ecclésiaste, i, 2.