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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/110

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Des favoris de la Victoire
Savourer avec volupté,
Dans des moments libres d’affaire,
Les bons vers de l’antiquité,
Et quelquefois en daigner faire
Dignes de la postérité ;
Semblable vie a de quoi plaire ;
Elle a de la réalité,
Et le plaisir n’est point chimère.

Votre Majesté a fait bien des choses en peu de temps. Je suis persuadé qu’il n’y a personne sur la terre plus occupé qu’elle, et plus entraîné dans la variété des affaires de toute espèce. Mais, avec ce génie dévorant qui met tant de choses dans sa sphère d’activité, vous conserverez toujours cette supériorité de raison qui vous élève au-dessus de ce que vous êtes et de ce que vous faites.

Tout ce que je crains, c’est que vous ne veniez à trop mépriser les hommes. Des millions d’animaux sans plumes, à deux pieds, qui peuplent la terre, sont à une distance immense de votre personne, par leur âme comme par leur état. Il y a un beau vers de Milton :

Amongst unequals no society.

(Lib. VIII, v. 383.)

Il y a encore un autre malheur, c’est que Votre Majesté peint si bien les nobles friponneries des politiques, les soins intéressés des courtisans, etc., qu’elle finira par se défier de l’affection des hommes de toute espèce, et qu’elle croira qu’il est démontré en morale qu’on n’aime point un roi pour lui-même. Sire, que je prenne la liberté de faire aussi ma démonstration. N’est-il pas vrai qu’on ne peut pas s’empêcher d’aimer pour lui-même un homme d’un esprit supérieur qui a bien des talents, et qui joint à tous ces talents-là celui de plaire ? Or, s’il arrive que par malheur ce génie supérieur soit roi, son état en doit-il empirer, et l’aimerait-on moins parce qu’il porte une couronne ? Pour moi, je sens que la couronne ne me refroidit point du tout.

Je suis, etc.


1481. — À M. BERGER.
Cirey.

Vous ne devez pas plus douter, mon cher monsieur, de mon amitié que de ma paresse. Ce n’est pas que je sois de ces aimables.