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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/197

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m’estimer, et surtout dans les derniers temps de sa vie. Ayant reconnu une calomnie infâme dont on m’avait noirci, au sujet d’une prétendue lettre[1] au roi de Prusse, il m’en aima davantage. Les calomniateurs haïssent à mesure qu’ils persécutent ; mais les gens de bien se croient obligés de chérir ceux dont ils ont reconnu l’innocence.


1563. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL,
à paris.
Mars.

Mon adorable ami, vous n’aurez pas aujourd’hui la moindre bouteille de ce vin que vous daignez aimer. En vous remerciant de celui de M. de Mairan. Je vais aujourd’hui à Versailles, je ne reviendrai que samedi.

Mais, mon Dieu, je suis accusé bien injustement. Ce n’est qu’à La Noue même que j’ai parlé, et c’est avec la plus tendre amitié que je lui ai fait mes représentations ; il les a reçues avec un peu d’aigreur. Mais, mon cher et respectable ami, je ne m’opposais à voir le visage de La Noue couvert, à Versailles, du turban d’Orosmane, que parce que je croyais qu’après avoir joué le rôle dans cette petite ville il aurait le droit et la volonté de le jouer à Paris. Vous m’apprenez qu’il veut bien le céder à Grandval, après l’avoir joué à Versailles, en province : c’est une nouvelle en tous sens très-agréable pour moi. Il s’en faut beaucoup que mon goût pour la personne et les talents de La Noue soit diminué. Je serais fâché que Grandval jouât le rôle de Titus dans Brutus. Chacun a son talent et doit s’y renfermer. En vérité, vous devez avouer que La Noue n’est pas fait pour Orosmane. Vous aimiez Zaïre avant d’aimer La Noue. C’est les trahir tous deux que de donner Orosmane à La Noue. Je vous conjure de lui faire entendre raison. N’appelez point acharnement ma juste fermeté. La Noue devrait me remercier ; je lui rends service en le suppliant instamment de ne point paraître sous une forme qui le dégrade. Joignez-vous à moi, faites-lui connaître ses véritables intérêts, dites-lui qu’ils me sont chers. Il ne faut pas que je lui déplaise en lui rendant service.

J’ai reçu hier une lettre de l’archevêque de Narbonne[2], par

  1. Voyez la lettre 1509, et le sixième alinéa de la lettre 1526.
  2. Jean-Louis de Bertons de Crillon, nommé archevêque de Narbonne en 1739, ne fut jamais admis à l’Académie française, et il mourut en 1751.