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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/198

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laquelle il me fait entendre qu’on l’a pressé de succéder à M. le cardinal de Fleury, et qu’il accepte la place.

Persécuté de tous côtés, que j’aie au moins le public pour moi. Il est de mon intérêt et de mon honneur de me présenter sous des faces différentes, et d’élever en ma faveur la voix publique, qui, jointe à la vôtre, me console de tout. Mille tendres respects à mes deux anges, que j’adore.


1564. ‑ À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Versailles, vendredi, mars.

Voici, mon très-cher ange, un fait comique. Je fais à M. le duc de Richelieu mes très-humbles plaintes de ce qu’il m’a forcé à laisser jouer Rousselois dans mes pièces, et de ce que tout Versailles dit que c’est moi qui l’ai fait venir, que c’est moi qui lui ai écrit, de la part de monsieur le premier gentilhomme[1] de la chambre. Je m’épuise en doux reproches ; je me lamente. M. de Richelieu me répond en pouffant de rire. « Eh bien ! dit-il, après avoir bien ricané, voulez-vous que je vous avoue celui qui a écrit à Rousselois sans me consulter ? c’est Roi. — Quoi, Roi ? — Oui, Roi ; Roi, le chevalier de Saint-Michel ; Roi, le cheval ; Roi, l’ennuyeux ; Roi, l’insupportable ; Roi, qui fait assez bien des ballets. Il a gagné un homme à moi qui m’a recommandé Rousselois comme un Baron. Je l’ai fait jouer dans vos tragédies, croyant vous servir. Je vous avoue ma faute, et vous pouvez dire partout que c’est moi qui ai tort. »

Mes chers anges, cela désarme ; mais Mlle Dumesnil[2] et ce pauvre Paulin[3] sont au désespoir, et M. le duc d’Aumont va me croire le plus inepte des mortels ; mais enfin la vérité triomphe, et M. le duc de Richelieu confesse son erreur. Il ne reste que Roi à punir ; mais il n’y a pas moyen de punir un si sot homme. Justifiez-moi bien, mes chers anges : permettez que je vous dise que je suis enchanté des bontés de Sa Majesté. Le ministère n’a pas mis à cela la dernière main, mais il le fera. Je vous confie ce petit secret comme à mes chers protecteurs, que j’adorerai toute ma vie.

  1. Louis-Marie-Augustin, duc d’Aumont, né en 1709.
  2. Célèbre actrice à qui est adressée la lettre 1588.
  3. Louis Paulin, fils d’un maître maçon. Il débuta au Théâtre-Français en 1741, et mourut en 1770.