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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/254

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Souabe, et de réunir tant de princes. La duchesse de Wurtemberg, qui était à Baireuth pour s’aboucher avec le roi de Prusse, m’envoya chercher. Je la trouvai fondant en larmes. « Ah ! me dit-elle, le roi de Prusse veut-il être un tyran, et veut-il, pour prix de lui avoir confié mes enfants et donné deux régiments, me forcer à demander justice contre lui à toute la terre ? Je veux avoir mon fils ; je ne veux point qu’il aille à Vienne ; c’est dans ses États que je veux qu’il soit élevé auprès de moi. Le roi de Prusse me calomnie quand il dit que je veux mettre mon fils entre les mains des Autrichiens. Vous savez si j’aime la France, et si mon dessein n’est pas d’y aller passer le reste de mes jours, quand mon fils sera majeur. »

Enfin la querelle fut apaisée. Le roi de Prusse me dit qu’il ménagerait plus la mère, qu’il rendrait le fils si on le voulait absolument, mais qu’il se flattait que de lui-même le jeune prince aimerait à rester auprès de lui.

Sa Majesté prussienne partit ensuite pour Leipsick et pour Gotha, où il n’a rien déterminé.

Aujourd’hui vous savez quelles propositions il vous fait ; mais toutes ses conversations et celles d’un de ses ministres, qui me parle assez librement, me font voir évidemment qu’il ne se mettra jamais à découvert que quand il verra l’armée autrichienne et anglaise presque détruite.

Il faudrait du temps, de l’adresse, et beaucoup plus de vigueur que le margrave de Baireuth n’en a, pour faire réussir, cet hiver, le projet d’assembler une armée de neutralité.

Le roi de Prusse veut beaucoup de mal au roi d’Angleterre, mais il ne lui en fera que quand il y trouvera sécurité et profit. Il m’a toujours parlé de ce monarque avec un mépris mêlé de colère, mais il me parle toujours du roi de France avec une estime respectueuse[1] ; et j’ai de sa main des preuves par écrit que tout ce que je lui ai dit de Sa Majesté lui a fait beaucoup d’impression.

Je pars vers le 12 ; j’aurai l’honneur de vous rendre un compte beaucoup plus ample. Je me flatte que vous et monsieur le contrôleur général[2] permettrez que je prenne ici trois cents ducats pour acheter un carrosse et m’en retourner, ayant dépensé tout ce que j’avais pendant près de quatre mois de voyages.

  1. Pas trop. Voyez le sixième alinéa de la lettre 1609, et le huitième de la lettre 1610.
  2. Orry.