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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/370

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plaît, monseigneur, que j’éclaircisse ma petite affaire avec le pape. La voici :

Vous savez que les bontés de Mlle du Thil[1] m’ont valu les bons offices de l’abbé de Tolignan, et que M. l’abbé de Tolignan m’a valu un petit compliment de la part de Sa Sainteté, sans que cette sainte négociation passât par d’autres mains.

Vous vous souvenez peut-être qu’il y a près de deux mois l’envie me prit d’avoir quelque marque de la bienveillance papale qui pût me faire honneur en ce monde-ci et dans l’autre. J’eus l’honneur de vous communiquer cette grande idée ; mais vous me dites qu’il n’était guère possible de mêler ainsi les choses célestes aux politiques. Sur-le-champ j’allai trouver Mlle du Thil, qui a été pour moi turris eburnea, fœderis arca[2], etc., et elle me dit qu’elle essayerait si l’abbé de Tolignan aurait assez de crédit encore pour obtenir de Sa Sainteté deux médailles qui vaudraient pour moi deux évêchés.

Nouvelles coquetteries de ma part avec le pape ; je lis ses livres, j’en fais un petit extrait ; je versifie, et le pape devient mon protecteur in petto.

Je vous mande tout cela il y a trois semaines, et je vous écris que M. l’abbé de Canillac ferait très-bien sa cour en parlant de moi à Sa Sainteté ; mais je ne parle point de médailles. Alors il vous revient en mémoire que j’avais eu grande envie du portrait du saint-père, et vous en écrivez à M. l’abbé de Canillac. Pendant ce temps-là qu’arrive-t-il ? Le pape, le très-saint, le très-aimable, donne deux grosses médailles pour moi à M. l’abbé de Tolignan et le maître de la chambre m’écrit de la part de Sa Sainteté. L’abbé de Tolignan a en poche médailles et lettres, et les enverra quand et comme il pourra.

À peine M. de Tolignan est-il muni de ces divins portraits que M. de Canillac va en demander pour moi au saint-père. Il me paraît que Sa Sainteté a l’esprit présent et plaisant ; elle ne veut pas dire au ministre de France : Monsù, un altro a le rnedaglie ; mais elle lui dit qu’à la Saint-Pierre il y en aura de plus grosses.

Vous recevrez, monseigneur, la lettre de l’abbé de Canillac, qui vous mande cette pantalonnade du pape tout sérieusement ; et Mlle du Thil reçoit la lettre de M. l’abbé de Tolignan, qui lui mande la chose comme elle est.

  1. Cette demoiselle, attachée pendant quelque temps au service de la marquise du Châtelet, est citée dans les Mémoires de Longchamp, pages 138 et 348.
  2. Expressions des Litanies de la Vierge.