Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai envoyé des Fontenoy au roi d’Espagne[1], à madame sa très-honorée et très-belligérante épouse[2], au sérénissime prince des Asturies[3], au sérénissime infant cardinal[4], le tout adressé à monsieur l’évêque de Rennes[5], à qui j’ai dit que je prenais cette liberté grande parce que vous daignez m’aimer un peu depuis quarante-deux ou quarante-trois ans. Pardon de l’époque, mais ne me démentez pas sur le fond.

Il serait fort doux que je dusse encore à votre protection quelques petites marques des bontés de Leurs Majestés catholiques. Je mets les princes à contribution, comme l’Arétin ; mais c’est avec des éloges : cette façon-là est plus décente.

En vérité, je vous aurais bien de l’obligation si vous vouliez bien, dans votre première lettre à M. de Rennes, lui toucher adroitement quelque petit mot des services qu’il peut me rendre. Les médailles papales, l’impression du Louvre, et quelque marque de magnificence espagnole, seront une belle réponse aux Desfontaines.

Mais il faut que je vous parle de la Lettre à un archevêque de Cantorbéry[6], écrite par un mauvais prêtre nommé Lenglet. Vous savez qu’il y dit tout net que M. de Chauvelin reçut cent mille guinées des Anglais pour le traité de Séville. Cent mille guinées ! l’abbé Lenglet ne sait pas que cela fait plus de deux millions cinq cent mille livres. Si cela n’était que ridicule, passe ; mais une calomnie atroce fait toujours plus de bien que de mal au calomnié. M. de Chauvelin a une grande famille. On trouve affreux qu’on ait imprimé une injure si indécente. Les indifférents disent qu’il n’est pas permis d’attaquer ainsi des ministres, que l’exemple est dangereux, et l’on se plaint du lieutenant de police. Celui-ci dit que c’est l’affaire de Gros de Boze[7], et Gros de Boze

  1. Philippe V.
  2. Élisabeth Farnèse, née en 1692, morte en 1766, seconde femme de Philippe V.
  3. Don Ferdinand, fils de Philippe V et de Louise-Marie de Savoie, né en 1713, mort en 1759 ; roi depuis 1746. sous le nom de Ferdinand VI.
  4. Don Louis-Antoine-Jacques, né en 1727, archevêque de Tolède et cardinal en 1735, donna sa démission de ces dignités en 1754. Il épousa la fille d’un capitaine d’infanterie, et mourut en juin 1776.
  5. Louis-Gui Guerapin de Vauréal, nommé grand d’Espagne en 1745, époque où il était ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la cour de Versailles à celle de Madrid. Reçu à l’Académie française en 1749. (Cl.)
  6. Lettre d’un pair de la Grande-Bretagne sur les affaires présentes de l’Europe, 1745, in-12. Voltaire avait traité moins sévèrement l’abbé Lenglet Dufresnoy ; voyez la lettre 1569.
  7. Gros de Boze (dont il est parlé dans une note, tome XXIII, page 205) était devenu inspecteur de la librairie en 1745, pendant la maladie de Maboul.