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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/515

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quillement, charmants malades ; pour moi, j’avale bien des calices. Il faut d’abord que vous sachiez que je ne sais plus où j’en suis, quand vous ne me tenez plus par la lisière. Il y a grande apparence qu’on ne pourra venir à bout de Sémiramis que quand vous y serez. Comment voulez-vous que je fasse quelque chose de bien et que je réussisse sans vous ? D’ailleurs, me voilà, outre mes coliques, attaqué d’une édition en douze volumes[1] qu’on vend à Paris sous mon nom, remplie de sottises à déshonorer, et d’impiétés à faire brûler son homme. Les Français me persécutent sur terre, les Anglais me pillent sur mer[2].


Ah ! pour Sémiramis quel temps choisissez-vous[3] ?

Il y a plus que tout cela, mes adorables anges. Mme du Châtelet a essuyé mille contre-temps horribles sur ce commandement de Lorraine. Il a fallu livrer des combats, et j’ai fait cette campagne avec elle. Elle a gagné la bataille, mais la guerre dure encore. Il faut qu’elle aille, dans quelque temps, à Commercy. Je vais donc aussi à Commercy ; et Sémiramis, que deviendra-t-elle ? On ne peut rien faire sans vous. Buvez, mes anges, buvez que Mme d’Argental revienne aussi rebondie que l’abbé de Bernis que M. de Choiseul rapporte le meilleur estomac du royaume !

Pour vous, mon cher et respectable ami, qui dînez et soupez, et qui n’êtes aux eaux que pour votre plaisir, revenez comme vous y êtes allé mais, mon Dieu, comment faites-vous dans un pays où on ne peut pas toujours sortir de chez soi à quatre heures ? comment vous passez-vous d’opéra et de comédie ? Je ne sais nulle nouvelle. Tout est tranquille dans l’Europe, tout l’est encore plus à Versailles. M. le Grand Prieur n’est pas mort[4]. Les prières des agonisants lui ont fait beaucoup de bien.

  1. . Cette édition doit être celle de Rouen ou Dreux (voyez page 513), pour laquelle Arnaud composa une Préface dont Voltaire parle dans sa lettre à d’Argental, du 14 novembre 1750. Cette édition de 1748 en douze volumes doit être autre que celle dont il est parlé dans une note de la lettre 1869.
  2. Voltaire plaçait des fonds sur des vaisseaux en commerce avec Cadix. Il paraît, d’après ce qu’en dit Longchamp, article xxxiv de ses Mémoires, qu’un seul des vaisseaux dans lesquels Voltaire était intéressé fut pris par les Anglais pendant la guerre de 1741 à 1748.
  3. Iphigénie en Aulide, acte I, scène ii.
  4. J.-Philippe d’Orléans, dit le chevalier d’Orléans, l’un des bâtards du Régent, et grand prieur de France, mourut quelques jours plus tard, le 16 juin 1748. Voyez tome XIV page 23.