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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/575

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ment, et, si on l’attrape, je vous rendrai la justice que vous me demandez, personne n’étant plus que moi disposé à vous donner des preuves réelles d’attention et de bonne volonté. Je vous prie d’en être persuadé, ainsi que du véritable attachement avec lequel, etc.


1953. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Potsdam, 13 février.

Je reçois avec plaisir deux de vos lettres à la fois ; avouez-moi que ce grand envoi de vers vous a paru assez ridicule. Il me semble que c’est Thersite qui veut faire assaut de valeur contre Achille. J’espérais qu’à vos lettres vous joindriez une critique des pièces, comme vous en usiez autrefois, lorsque j’étais habitant de Remusberg, où le pauvre Keyserlingk, que je regrette et que je regretterai toujours, vous admirait. Mais Voltaire, devenu courtisan, ne sait donner que des louanges ; le métier en est, je l’avoue, moins dangereux. Ne pensez pas cependant que ma gloire poetique se fût offensée de vos corrections ; je n’ai point la fatuité de présumer qu’un Allemand fasse de bons vers français.


La critique douce et civile
Pour un auteur est un grand bien ;
Dans son amour-propre imbécile,
Sur ses défauts il ne voit rien.
Ce flambeau divin qui l’éclaire
Blesse à la vérité ses yeux,
Mais bientôt il n’en voit que mieux ;
Il corrige, il devient sévère.
Qui tend à la perfection,
Limant, polissant son ouvrage,
Distingue la correction
De la satire et de l’outrage.

Ayez donc la bonté de ne point m’épargner ; je sens que je pourrai faire mieux, mais il faut que vous me disiez comment.

Ne pensez-vous pas que de bien faire des vers est un acheminement pour bien écrire en prose ? Le style n’en deviendrait-il pas plus énergique, surtout si l’on prend garde de ne point charger la prose d’épithètes, de périphrases, et de tours trop poétiques ?

J’aime beaucoup la philosophie et les vers. Quand je dis philosophie, je n’entends ni la géométrie ni la métaphysique. La première, quoique sublime, n’est point faite pour le commerce des hommes ; je l’abandonne à quelque rêve-creux d’Anglais : qu’il gouverne le ciel comme il lui plaira ; je m’en tiens à la planète que j’habite. Pour la métaphysique, c’est, comme vous le dites très-bien, un ballon enflé de vent[1]. Quand on fait tant que de voyager

  1. Voltaire dit cela de l’amour-propre dans Zadig ; voyez tome XXI, page 33 ; et comme dans le même alinéa il est question de métaphysique, il se peut que Frédéric ait fait confusion.