Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous empêche de tomber dans les erreurs du vulgaire, et de croire aux effets sans cause.

La belle poésie, c’est sans contredit la vôtre ; elle contient tout ce que les poëtes de l’antiquité ont produit de meilleur.

Votre Muse, forte et légère,
Des agréments semble la mère,
Parlant la langue des amours ;
Mais, lorsque vous peignez la guerre,
Comme un impétueux tonnerre
Elle entraîne tout dans son cours.

C’est que vous et votre Muse, vous êtes tout ce que vous voulez. Il n’est pas permis à tout le monde d’être Protée comme vous ; et nous autres pauvres humains, nous sommes obligés de nous contenter du petit talent que l’avare nature a daigné nous donner.

Je ne puis vous mander des nouvelles de ce camp, où nous sommes les gens les plus tranquilles du monde. Nos housards sont les héros de la pièce pendant l’intermède, tandis que les ambassadeurs me haranguent, qu’on fait les Silésiens cocus, etc., etc.

Bien des compliments à la marquise ; quant à vous, je pense bien que vous devez être persuadé de la parfaite estime et de l’amitié que j’aurai toujours pour vous. Adieu.

Le pauvre Césarion est malade à Berlin, où je l’ai renvoyé pour le guérir ; et Jordan, qui vient d’arriver de Breslau, est tout fatigué du voyage.


1455. – À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Bruxelles, le 29 juin.

Sire, chacun son lot une aigle vigoureuse,
Non l’aigle de l’empire ( elle a depuis un temps
Perdu son bec retors et ses ongles puissants),
Mais l’aigle de la Prusse, et jeune et valeureuse,
Réveille dans son vol, au bruit de ses exploits,
La Gloire, qui dormait loin des trônes des rois.
Un vieux renard[1] adroit, tapi dans sa tanière,
Attend quelques perdrix auprès de sa frontière ;
Un honnête pigeon, point fourbe et point guerrier,
Cache ses jours obscurs au fond d’un colombier.
Je suis ce vieux pigeon ; j’admire en sa carrière
Cette aigle foudroyante et si vive et si fière.
Ah si d’un autre bec les dieux m’avaient pourvu,
Si j’étais moins pigeon, je vous suivrais peut-étre ;

  1. Le cardinal de Fleury. (Cl.)