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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/80

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Je verrais dans son camp mon adorable maître ;
Et, tel que Maupertuis, peut-être au dépourvu,
De housards entouré, dépouillé, mis à nu,
J’aurais, par les doux sons de quelque chansonnette,
Consolé, s’il se peut, Neipperg de sa défaite.
Le ciel n’a pas voulu que de mes sombres jours
Cette grande aventure ait éclairé le cours.
Mais dans mon colombier je vous suis en idée
De vos vaillants exploits ma verve possédée,
Voyage en fiction vers les murs de Breslau,
Dans les champs de Mollwitz, aux remparts de Glogau ;
Je vous y vois, tranquille au milieu de la gloire,
Arracher une plume au dos de la Victoire,
Et m’écrire en jouant, sur la peau d’un tambour,
Ces vers toujours heureux, pleins de grâce et de tour.
Hyndford[1], et vous, Ginkel[2], vous dont le nom barbare
Fait jurer de mes vers la cadence bizarre,
Venez-vous près de lui, le caducée en main,
Pour séduire son âme et changer son destin ?
Et vous, cher Valori, toujours prêt à conclure,
Voulez-vous des Ginkel déranger la mesure ?
Ministres cauteleux, ou pressants, ou jaloux,
Laissez là tout votre art il en sait plus que vous ;
Il sait quel intérêt fait pencher la balance,
Quel traité, quel ami convient à sa puissance ;
Et toujours agissant, toujours pensant en roi,
Par la plume et l’épée il sait donner la loi.
Cette plume surtout est ce qui fait ma joie :
Car, messieurs, quand le jour, à tant de sots en proie,
Il a campé, marché, recampé, ferraillé,
Écouté cent avis, répondu, conseillé,
Ordonné des piquets, des haltes, des fourrages,
Garni, forcé, repris, débouché vingt passages,
Et parlé dans sa tente à des ambassadeurs
(Gens quelquefois trompés, encor que grands trompeurs),
Alors tranquille et gai, n’ayant plus rien à faire,
En vers doux et nombreux il écrit à Voltaire.
En faites-vous autant, George, Charles, Louis[3],
Très-respectables rois, d’Apollon peu chéris ?
La maison des Bourbons ni les filles d’Autriche
N’ont jamais fait pour moi le plus court hémistiche.

  1. Ministre d’Angleterre à la cour de Berlin ; nommé dans le neuvième alinéa de la lettre 1532.
  2. Reede de Ginkel, envoyé hollandais.
  3. Voyez tome XXXV, page 512.