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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/173

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2118. — À M. DARGET.
À Potsdam, août 1750.

Je n’ai point vu le bal, mais le carrousel était digne de Frédéric le Grand : je croyais être dans le pays des fées. Ce que j’ai admiré le plus, c’est l’ordre qui a régné dans une fête où il devait y avoir vingt têtes cassées. Je suis plus idolâtre que jamais de votre maître, et chaque jour m’enchaîne par de nouveaux liens. Cher ami, vivons ici : admirons et aimons.


2119. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Août.

Mon héros, cette lettre partira quand il plaira à Dieu ; mais il faut que je me livre au plaisir de vous dire combien mon cœur vous donne la préférence sur tous les rois de la terre. Je ne vous parlerai, cette fois-ci, ni de l’ancienne Rome, ni de Cicéron, ni de Louis XIV : mais, puisque vous avez daigné entrer avec tant de bonté dans ma situation, je crois remplir un devoir en vous rendant un compte fidèle de tout.

Votre élévation ne vous permet guère d’être instruit de tout ce qu’un homme qui s’est consacré aux lettres a à essuyer en France ; mais vous savez, en général, que j’ai souffert des persécutions de toute espèce. Je fus poursuivi jusque dans la retraite de Cirey, et le théatin Boyer m’obligea, en 1736, de me réfugier en Hollande.

Quel était le prétexte de cette tempête excitée par des prêtres, et à laquelle se prêtait la vieille mie, qu’on appelait le cardinal de Fleury ? C’était la plaisanterie très-innocente du Mondain, l’ouvrage du monde le moins digne d’attirer des persécutions à son auteur. Le garde des sceaux de Chauvelin me poursuivit avec acharnement.

Je pouvais alors trouver auprès du roi de Prusse un asile honorable ; mais j’avais promis à Mme du Châtelet, votre amie, de ne l’abandonner jamais. Je lui tins parole ; je revins auprès d’elle, et la mort seule nous a séparés. Vos bontés me firent obtenir les places de gentilhomme ordinaire du roi et de son historiographe. Vous savez si j’en conserve une juste reconnaissance. J’aurais voulu passer auprès de vous ma vie, et je vous proteste que, si quelque hasard heureux ou malheureux vous avait fait prendre le parti de passer à Richelieu une partie de