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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/215

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de philosophie sur les événements. La vérité triomphe toujours à la longue, et l’envie se trouve abattue sous le poids des grandes réputations.


2152. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Potsdam, le 28 novembre.

Mon cher ange, vous me rendez bien la justice de croire que j’attends avec quelque impatience le moment de vous revoir ; mais ni les chemins d’Allemagne, ni les bontés de Frédéric le Grand, ni le palais enchanté où ma chevalerie errante est retenue, ni mes ouvrages que je corrige tous les jours, ni l’aventure de d’Arnaud, ne me permettent de partir avant le 15 ou le 20 de décembre.

Croiriez-vous bien que votre chevalier de Mouhy s’est amusé à écrire quelquefois des sottises contre moi, dans un petit écrit intitulé la Bigarrure[1] ? Je vous l’avais dit, et vous n’avez pas voulu le croire ; rien n’est plus vrai ni si public. Il n’y a aucun de ces animaux-là qui n’écrivît quelques pauvretés contre son ami, pour gagner un écu, et point de libraire qui n’en imprimât autant contre son propre frère. On ne fait pas assurément d’attention à la Bigarrure du chevalier de Mouhy ; mais vous m’avouerez qu’il est fort plaisant que ce Mouhy me joue de ces tours-là. Il vient de m’écrire une longue lettre, et il se flatte que je le placerai à la cour de Berlin. Je veux ignorer ses petites impertinences, qu’on ne peut attribuer qu’à de la folie ; il ne faut pas se fâcher contre ceux qui ne peuvent pas nuire. J’ai mandé à ma nièce qu’elle fît réponse pour moi, et qu’elle l’assurât de tous mes sentiments pour lui et pour la chevalière.

Votre Aménophis est de Linant ; c’est l’Artaxerce de Metastasio. Ce pauvre diable a été sifflé de son vivant et après sa mort[2]. Les sifflets et la faim l’avaient fait périr ; digne sort d’un auteur. Cependant vos badauds ne cessent de battre des mains à des pièces qui ne valent guère mieux que les siennes. Ma foi, mon cher ange, j’ai fort bien fait de quitter ce beau pays-là, et de jouir du repos auprès d’un héros, à l’abri de la canaille qui me persécutait, des graves pédants qui ne me défendaient pas, des

  1. Voyez la note, tome XXIV, page 184.
  2. La tragédie d’Aménophis, qu’on venait de représenter à Paris sans succès, est de Saurin. Voltaire, qui avait donné autrefois à Linant, pour sujet de tragédie, Ramessès, roi d’Egypte (voyez tome XXXIII, page 369), a pu supposer que Linant avait substitué le nom d’un roi d’Égypte à un autre. Linant était mort en 1749 ; voyez tome XXXIII, page 243.