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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/216

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dévots qui, tôt ou tard, m’auraient joué un mauvais tour, et de l’envie, qui ne cesse de sucer le sang que quand on n’en a plus. La nature a fait Frédéric le Grand pour moi. Il faudra que le diable s’en mêle, si les dernières années de ma vie ne sont pas heureuses auprès d’un prince qui pense en tout comme moi, et qui daigne m’aimer autant qu’un roi en est capable. On croit que je suis dans une cour, et je suis dans une retraite philosophique ; mais vous me manquez, mes chers anges. Je me suis arraché la moitié du cœur pour mettre l’autre en sûreté, et j’ai toujours mon grand chagrin dont nous parlerons à mon retour. En attendant, je joins ici, pour vous amuser, une page d’une épître[1] que j’ai corrigée. Il me semble que vous y êtes pour quelque chose ; il s’agit de la vertu et de l’amitié. Dites-moi si l’allemand a gâté mon français, et si je me suis rouillé comme Rousseau. N’allez pas croire que j’apprenne sérieusement la langue tudesque ; je me borne prudemment à savoir ce qu’il en faut pour parler à mes gens, à mes chevaux. Je ne suis pas d’un âge à entrer dans toutes les délicatesses de cette langue si douce et si harmonieuse ; mais il faut savoir se faire entendre d’un postillon. Je vous promets de dire des douceurs à ceux qui me mèneront vers mes chers anges. Je me flatte que Mme d’Argental, M. de Pont-de-Veyle, M. de Choiseul, M. l’abbé de Chauvelin, auront toujours pour moi les mêmes bontés ; et qui sait si un jour… car… Adieu ; je vous embrasse tendrement. Si vous m’écrivez, envoyez votre lettre à ma nièce. Je baise vos ailes de bien loin.


2153. — À M. THIERIOT.
Potsdam, novembre[2].

Quoique vous paraissiez m’avoir entièrement oublié, je ne puis croire que vous m’ayez effacé de votre cœur ; vous êtes toujours dans le mien. Vous devez être un peu consolé d’avoir été remplacé par un homme tel que d’Arnand. La manière dont il

  1. Je crois qu’il s’agit de l’Épitre à un ministre d’État sur l’encouragement des arts (voyez tome X, année 1740), à laquelle Voltaire fit, entre 1748 et 1751, une page de corrections. (B.)
  2. Cette lettre, publiée dans les éditions de Kehl, y était tronquée. Elle a été imprimée en entier dans les Mémoires de Wagnière, II, 516. On a dit que Fréron, en ayant eu connaissance, fit un article qui occasionna la suppression de ses feuilles. L’année 1750 des Lettres sur quelques écrits de ce temps ne présente point de lacune. Mais il y eut une interruption en 1752 ; voyez la lettre à Formey de juin 1752, n° 2387.