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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/526

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soit qu’on la multiplie par le carré de la vitesse. Souffrez que je vous dise que la dispute sur la moindre action est beaucoup plus frivole encore. Il ne me paraît de vrai dans tout cela que l’ancien axiome : que la nature agit toujours par les voies les plus simples ; encore cette maxime demande-t-elle beaucoup d’explications.

Si M. de Maupertuis a inventé depuis peu ce principe, à la bonne heure ; mais il me semble qu’il n’eût pas fallu déguiser sous des termes ambigus une chose si claire ; et que ce serait la travestir en erreur que de prétendre, avec le Père Malebranche, que Dieu emploie toujours la moindre quantité d’action. Nos bras, par exemple, sont des leviers de la troisième espèce, qui exercent une force de plus de cinquante livres pour en lever une ; le cœur, par sa systole et par sa diastole, exerce une force prodigieuse pour exprimer une goutte de sang qui ne pèse pas une dragme. Toute la nature est pleine de pareils exemples ; elle montre dans mille occasions plus de profusion que d’économie. Heureusement, monsieur, toutes nos disputes pointilleuses sur des principes sujets à tant d’exceptions, sur des assertions vraies en plusieurs cas et fausses dans d’autres, n’empêcheront pas la nature de suivre ses lois invisibles et éternelles. Malheur au genre humain, si le monde était comme la plupart des philosophes veulent le faire ! Nous ressemblons assez à Matthieu Garo[1] qui affirmait que les citrouilles devaient croître au haut des plus grands arbres, afin que les choses fussent en proportion. Vous savez comment Matthieu Garo fut détrompé, quand un gland de chêne lui tomba sur le nez, dans le temps qu’il raisonnait en profond métaphysicien.

Voyez donc, monsieur, ce que c’est que de ne vouloir trouver la preuve de l’existence de Dieu que dans une formule d’algèbre, sur le point le plus obscur de la dynamique, et assurément sur le point le plus inutile dans l’usage. « Vous allez vous fâcher contre moi, mais je ne m’en soucie guère, » disait feu M. l’abbé Conti au grand Newton ; et je pense, avec l’abbé Conti, qu’à l’exception d’une quarantaine de théorèmes principaux qui sont utiles, les recherches profondes de la géométrie ne sont que l’aliment d’une curiosité ingénieuse ; et j’ajoute que toutes les fois que la métaphysique s’y joint, cette curiosité est bien trompée. La métaphysique est le nuage qui dérobe aux héros d’Homère l’ennemi qu’ils croyaient saisir.

Mais que, pour une dispute si frivole, pour une bagatelle diffi-

  1. La Fontaine, liv. IX, fable iv.