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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/527

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cile, pour une erreur de nulle conséquence, confondue avec une vérité triviale, on intente un procès criminel dans les formes ; qu’on fasse déclarer faussaire un honnête homme, un compagnon d’étude, un ancien ami, c’est ce qui est en vérité bien douloureux.

Vous nous avez appris, dans votre Appel, une violence bien plus singulière : on m’a écrit des lettres de Paris pour savoir si la chose était vraie. Vous dites, et il n’est que trop véritable, que Maupertuis, après avoir réussi, comme il lui était si aisé, à vous faire condamner, a écrit et fait écrire plusieurs fois à Mme la princesse d’Orange, de qui vous dépendez, pour vous imposer silence, et pour vous faire consentir vous-même à votre déshonneur. Vous croyez bien que toute l’Europe littéraire trouve son procédé un peu dur et fort inouï. Maupertuis aura la gloire d’avoir fait ce qu’aucun souverain n’a jamais osé. Aveuglé par une méprise où il était tombé, il a soutenu cette méprise par une persécution ; il a fait condamner et flétrir un honnête homme sans l’entendre, et lui a ordonné ensuite de ne point se défendre et de se taire.

Quel homme de lettres n’est saisi d’une juste indignation contre une cruauté ménagée d’abord avec tant d’artifice, et soutenue enfin avec tant de dureté ? Où en seraient les lettres et les études en tout genre, si on ne peut être d’un sentiment opposé à celui d’un homme qui a su se procurer du crédit ? Quoi ! monsieur, si je disais que tous les angles d’un triangle sont égaux à deux droits, et que le président de l’Académie de Pétersbourg eût dit le contraire, il serait donc en droit de me faire condamner, et de m’ordonner le silence ?

Vos plaintes ont été accompagnées des plaintes de tous les gens de lettres de l’Europe. Leurs voix se sont jointes à la vôtre ; et, pour unique réponse, Maupertuis imprime qu’on ne doit pas savoir ce qu’il a écrit à Mme la princesse d’Orange, que ce sont des secrets entre lui et elle qu’il faut respecter. Cette réponse est le dernier coup de pinceau du tableau, et j’avoue qu’on devait s’y attendre.

J’étais plein de ma surprise et de mon indignation, ainsi que tous ceux qui ont lu votre Appel ; mais l’une et l’autre cessent dans ce moment-ci. On m’apporte un volume de lettres que Maupertuis a fait imprimer il y a un mois : je ne peux plus que le plaindre ; il n’y a plus à se fâcher. C’est un homme qui prétend que, pour mieux connaître la nature de l’âme, il faut aller aux terres australes disséquer des cerveaux de géants hauts de douze pieds, et des hommes velus portant une queue de singe.