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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/200

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CORRESPONDANCE.

mes ceps hérétiques pour recevoir vos catholiques. Vous savez que ce n’est qu’un essai et un amusement. Je vous remercie, monsieur, de daigner vous y prêter. Tout ce que je souhaite, c’est que vous veniez quelque jour boire du vin que vous aurez fait naître dans ma petite retraite.

Ma nièce et moi, nous présentons nos respects à Mme Le Bault, et j’ai l’honneur d’être avec les mêmes sentiments, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

3945. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
Aux Délices, 13 octobre.

Il est bien triste, madame, pour un homme qui vit avec vous, d’être un peu sourd ; je vous plains moins d’être aveugle. Voilà le procès des aveugles et des sourds décidé. Certainement c’est celui qui ne vous entend point qui est le plus malheureux.

Je n’écris à Paris qu’à vous, madame, parce que votre imagination a toujours été selon mon cœur ; mais je ne vous passe point de vouloir me faire lire les romans anglais quand vous ne voulez pas lire l’Ancien Testament. Dites-moi donc, s’il vous plaît, où vous trouvez une histoire plus intéressante que celle de Joseph devenu contrôleur général en Égypte, et reconnaissant ses frères. Comptez-vous pour rien Daniel, qui confond si finement les deux vieillards ? Quoique Tobie ne soit pas si bon, cependant cela me paraît meilleur que Tom Jones, dans lequel il n’y a rien de passable que le caractère d’un barbier.

Vous me demandez ce que vous devez lire, comme les malades demandent ce qu’ils doivent manger ; mais il faut avoir de l’appétit, et vous avez peu d’appétit avec beaucoup de goût. Heureux qui a assez faim pour dévorer l’Ancien Testament ! Ne vous en moquez point ; ce livre fait cent fois mieux connaître qu’Homère les mœurs de l’ancienne Asie ; c’est, de tous les monuments antiques, le plus précieux. Y a-t-il rien de plus digne d’attention qu’un peuple entier situé entre Babylone, Tyr et l’Égypte, qui ignore pendant six cents ans le dogme de l’immortalité de l’âme, reçu à Memphis, à Babylone et à Tyr ? Quand on lit pour s’instruire, on voit tout ce qui a échappé lorsqu’on ne lisait qu’avec les yeux.

Mais vous, qui ne vous souciez pas de l’histoire de votre pays, quel plaisir prendrez-vous à celle des Juifs, de l’Égypte et de Babylone ? J’aime les mœurs des patriarches, non parce qu’ils