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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/201

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couchaient tous avec leurs servantes, mais parce qu’ils cultivaient la terre comme moi. Laissez-moi lire l’Écriture sainte, et n’en parlons plus.

Mais vous, madame, prétendez-vous lire comme on fait la conversation ? prendre un livre comme on demande des nouvelles ? le lire et le laisser là ? en prendre un autre qui n’a aucun rapport avec le premier, et le quitter pour un troisième ? En ce cas, vous n’avez pas grand plaisir.

Pour avoir du plaisir, il faut un peu de passion ; il faut un grand objet qui intéresse, une envie de s’instruire déterminée, qui occupe l’âme continuellement : cela est difficile à trouver, et ne se donne point. Vous êtes dégoûtée ; vous voulez seulement vous amuser, je le vois bien ; et les amusements sont encore assez rares.

Si vous étiez assez heureuse pour savoir l’italien, vous seriez sûre d’un bon mois de plaisir avec l’Arioste. Vous vous pâmeriez de joie ; vous verriez la poésie la plus élégante et la plus facile, qui orne, sans effort, la plus féconde imagination dont la nature ait jamais fait présent à aucun homme. Tout roman devient insipide auprès de l’Arioste ; tout est plat devant lui, et surtout la traduction de notre Mirabaud[1].

Si vous êtes une honnête personne, madame, comme je l’ai toujours cru, j’aurai l’honneur de vous envoyer un chant ou deux de la Pucelle, que personne ne connaît, et dans lequel l’auteur a tâché d’imiter, quoique très-faiblement, la manière naïve et le pinceau facile de ce grand homme. Je n’en approche point du tout ; mais j’ai donné au moins une légère idée de cette école de peinture. Il faut que votre ami[2] soit votre lecteur, et ce sera un quart d’heure d’amusement pour vous deux, et c’est beaucoup. Vous lirez cela quand vous n’aurez rien à faire du tout, quand votre âme aura besoin de bagatelles : car point de plaisir sans besoin.

Si vous aimez un tableau très-fidèle de ce vilain monde, vous en trouverez un quelque jour dans l’Histoire générale des sottises du genre humain (que j’ai achevé très-impartialement). J’avais donné, par dépit, l’esquisse de cette histoire, parce qu’on en avait imprimé déjà quelques fragments ; mais je suis devenu depuis plus hardi que je n’étais ; j’ai peint les hommes comme ils sont.

  1. Roland le furieux, poëme traduit de l’Arioste par J.-B.. Mirabaud, mort en 1760 à quatre-vingt-cinq ans, a paru, pour la première fois, en 1741, quatre volumes in-12.
  2. Le président Hénault.