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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/203

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de son livre m’a fait un plaisir extrême. Si vous en voulez faire une étude sérieuse, il ne tiendra qu’à vous ; mais j’ai peur que vous ne soyez pas assez savante, et que vous ne soyez trop délicate.

Je voudrais que quelqu’un eût élagué en français les Œuvres philosophiques de feu milord Bolingbroke. C’est un prolixe personnage, et sans aucune méthode ; mais on en pourrait faire un ouvrage bien terrible pour les préjugés, et bien utile pour la raison. Il y a un autre Anglais qui vaut bien mieux que lui : c’est Hume[1], dont on a traduit quelque chose avec trop de réserve. Nous traduisons les Anglais aussi mal que nous nous battons contre eux sur mer.

Plût à Dieu, madame, pour le bien que je vous veux, qu’on eût pu au moins copier fidèlement le Conte du Tonneau[2], du doyen Swift ! C’est un trésor de plaisanteries dont il n’y a point d’idée ailleurs. Pascal n’amuse qu’aux dépens des jésuites ; Swift divertit et instruit aux dépens du genre humain. Que j’aime la hardiesse anglaise ! que j’aime les gens qui disent ce qu’ils pensent ! C’est ne vivre qu’à demi que de n’oser penser qu’à demi.

Avez-vous jamais lu, madame, la faible traduction[3] du faible Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac ? Il m’en avait autrefois lu vingt vers qui me parurent fort beaux ; l’abbé de Rothelin m’assura que tout le reste était bien au-dessus. Je pris le cardinal de Polignac pour un ancien Romain[4], et pour un homme supérieur à Virgile ; mais, quand son poëme fut imprimé, je le pris pour ce qu’il est : poëme sans poésie, et philosophie sans raison.

Indépendamment des tableaux admirables qui se trouvent dans Lucrèce, et qui feront passer son livre à la dernière postérité, il y a un troisième chant dont les raisonnements n’ont jamais été éclaircis par les traducteurs, et qui méritent bien d’être mis dans leur jour. Nous n’en avons qu’une mauvaise traduction[5] par un baron des Coutures. Je mettrai, si je vis, ce troisième chant en vers, ou je ne pourrai[6].

En attendant, seriez-vous assez hardie pour vous faire lire

  1. David Hume. — Jean-Bernard Mérian avait publié, en 1758, l’Essai philosophique sur l’entendement humain, et, en 1759, il mit au jour l’Histoire naturelle de la religion, ouvrages traduits par lui de l’anglais de Hume.
  2. Voyez tome XXVI, page 206.
  3. Par J.-P, de Bougainville, 1759.
  4. Voyez, tome VIII, le début du Temple du Goût.
  5. La traduction de La Grange n’avait pas encore paru ; voyez tome XVIII page 374.
  6. Ce projet n’a pas eu de suite.