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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/204

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seulement quarante ou cinquante pages de ce des Coutures ? Par exemple, livre III, page 281, tome Ier, à commencer par les mots on ne s’aperçoit point[1], il y a en marge, xiie argument. Examinez ce xiie argument jusqu’au xxviie, avec un peu d’attention, si la chose vous paraît en valoir la peine.

Nous avons tous un procès avec la nature, qui sera terminé dans peu de temps ; et presque personne n’examine les pièces de ce grand procès. Je ne vous demande que la lecture de cinquante pages de ce troisième livre ; c’est le plus beau préservatif contre les sottes idées du vulgaire ; c’est le plus ferme rempart contre la misérable superstition. Et, quand on songe que les trois quarts du sénat romain, à commencer par César, pensaient comme Lucrèce, il faut avouer que nous sommes de grands polissons, à commencer par Joly de Fleury.

Vous me demandez ce que je pense, madame ; je pense que nous sommes bien méprisables, et qu’il n’y a qu’un petit nombre d’hommes répandus sur la terre qui osent avoir le sens commun ; je pense que vous êtes de ce petit nombre. Mais à quoi cela sert-il ? À rien du tout. Lisez la parabole du Bramin[2], que j’ai eu l’honneur de vous envoyer ; et je vous exhorte à jouir, autant que vous le pourrez, de la vie, qui est peu de chose, sans craindre la mort, qui n’est rien.

Comme vous n’avez guère que des rentes viagères, l’ennuyeux ouvrage[3] dont vous me parlez tombe moins sur vous que sur un autre. Sauve qui peut ! Demandez à votre ami[4] si, en 1708 et en 1709, on n’était pas cent fois plus mal ; ces souvenirs consolent.

La première scène de la pièce de Silhouette a été bien applaudie, le reste est sifflé ; mais il se peut très-bien que le parterre ait tort. Il est clair qu’il faut de l’argent pour se défendre, puisque les Anglais se ruinent pour nous attaquer.

Ma lettre est devenue un livre, et un mauvais livre ; jetez-la au feu, et vivez heureuse, autant que la pauvre machine humaine le comporte.

  1. Le passage de la traduction par des Coutures, auquel Voltaire renvoie, commence, dans la traduction de La Grange, par ces mots : « D’ailleurs un mourant ne sent pas, » etc. ; et, dans le texte, par ce vers, qui est le 606e du livre III :

    Nec sibi enim quisquam moriens sentire Videtur.

  2. Voyez cet ouvrage, tome XXI, page 219.
  3. Il s’agissait de dix ou douze édits que le gouvernement venait de publier, relativement à de nouvelles taxes.
  4. Le président Hénault.