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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/225

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ne ferai sûrement pas : c’est assez pour moi que mes terres me rapportent de quoi nourrir cinquante personnes environ aux Délices, du fourrage pour une vingtaine de chevaux, et du vin pour les domestiques ; ce qu’on peut vendre de surplus n’est presque rien. Ma fortune, qui me met au-dessus des petits intérêts, me permet d’embellir tous les lieux que j’habite ; voilà le revenu que j’en tire. Le plus fort de ce revenu consiste à soulager bien des malheureux, tant à Tournay qu’à Ferney, et dans les terres intermédiaires que j’ai acquises entre ces deux seigneuries. La misère était horrible dans tout ce pays-là, et les terres n’étaient point ensemencées. Dieu merci ! elles le sont à présent.

Bétems, qui était en prison à Genève pour mille écus de dettes, et qui y serait mort si je n’avais pas payé pour lui[1], est actuellement en état de cultiver son petit bien. Je ne vous dis pas tout cela, monsieur, comme le Pharisien pour me vanter de mes bonnes œuvres ; je ne suis pas non plus le Publicain ; mais je dois vous rendre compte de la manière dont je me conduis dans une terre qui vous reviendra après ma mort, et qui vous reviendra sûrement plus belle et plus utile du double que vous ne me l’avez vendue ; je n’ai rien négligé de l’utile, prés, chemins, grange, pressoir, plantations ; tout a été ou fait à neuf, ou réparé. Les plants de Bourgogne que j’ai faits réussissent, et j’espère que vous m’enverrez ceux que vous m’avez promis. Vous croyez bien, monsieur, que je ne compte pas, parmi les réparations et les embellissements qui m’ont déjà coûté quinze mille francs, le petit théâtre que j’ai construit. Cette dépense aurait pu passer chez les Grecs et chez les Romains pour un embellissement nécessaire ; mais il n’en est pas ainsi dans le mont Jura, aux portes de Genève.

Il faut à présent, monsieur, vous parler du petit bois qui fait le sujet des attentions fort inutiles du sieur Girod. Vous en aviez vendu près de la moitié au nommé Charlot ; dans cette moitié, il ne restait que des pins et des tronçons de chênes : j’ai eu la patience de faire déraciner tous ces tronçons. J’ai coupé les pins, dont la plus grande partie a servi aux réparations du château et des granges, et du tout j’ai fait un pré qui rapportera beaucoup plus que des pins et des troncs. Une quarantaine de chênes qu’il a fallu couper ont servi aux ponts-levis du château, aux barrières qui entourent les fossés, au pressoir, et à d’autres usages ; j’en ai donné quelques-uns à Mme Gallatin et au curé que vous m’avez

  1. En profitant de la nécessité où il se trouvait pour acheter son bien à vil prix. (Note du prrésident de Brosses.)