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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/298

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choses différentes de celles que je vous dis. Je lui dirais combien je l’estime, et à quel point je suis pénétré de l’honneur qu’il me fait. Vous voyez, monsieur, que je suis obligé de dicter mes lettres. Je n’ai plus la force d’écrire ; j’ai toutes les infirmités de la vieillesse, mais dans le fond du cœur tous les goûts de la jeunesse. Je crois que c’est ce qui me fait vivre. Comptez, monsieur, que tant que je vivrai je serai fâché que les truites du lac de Genève soient si loin des saucissons de Bologne, et que je serai toujours, avec tous les sentiments que je vous dois, votre serviteur. Di cuore.


Voltaire.

4537. — À M. DUCLOS,
À Ferney, 1er mai.

Après le Dictionnaire de l’Académie, ouvrage d’autant plus utile que la langue commence à se corrompre, je ne connais point d’entreprise plus digne de l’Académie, et plus honorable pour la littérature, que celle de donner nos auteurs classiques avec des notes instructives.

Voici, monsieur, les propositions que j’ose faire à l’Académie, avec autant de défiance de moi-même que de soumission à ses décisions. Je pense qu’on doit commencer par Pierre Corneille, puisque c’est lui qui commença à rendre notre langue respectable chez les étrangers. Ce qu’il y a de beau chez lui est si sublime qu’il rend précieux tout ce qui est moins digne de son génie : il me semble que nous devons le regarder du même œil que les Grecs voyaient Homère, le premier en son genre, et l’unique, même avec ses défauts. C’est un si grand mérite d’avoir ouvert la carrière, les inventeurs sont si au-dessus des autres hommes, que la postérité pardonne leurs plus grandes fautes. C’est donc en rendant justice à ce grand homme, et en même temps en marquant les vices de langage où il peut être tombé, et même les fautes contre son art, que je me propose de faire une édition in-4o de ses ouvrages.

J’ose croire, monsieur, que l’Académie ne me désavouera pas, si je propose de faire cette édition pour l’avantage du seul homme qui porte aujourd’hui le nom de Corneille, et pour celui de sa fille.

Je ne peux laisser à Mlle Corneille qu’un bien assez médiocre ; ce que je dois à ma famille ne me permet pas d’autres arrangements. Nous tâchons, Mme Denis et moi, de lui donner une édu-