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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/269

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français, et il est bien horrible que des Français persécutent ces philosophes. J’avais déjà assuré la cour russe de la reconnaissance et des refus de nos sages.

Mes chers frères, continuez à éclairer le monde, que vous devez tant mépriser. Que de biens on ferait si on s’entendait ! Jean-Jacques eût été un Paul, s’il n’avait pas mieux aimé être un Judas. Helvétius a eu le malheur d’avouer un livre[1] qui l’empêchera d’en faire d’utiles ; mais j’en reviens toujours à Jean Meslier. Je ne crois pas que rien puisse jamais faire plus d’effet que le testament d’un prêtre qui demande pardon à Dieu, en mourant, d’avoir trompé les hommes. Son écrit est trop long, trop ennuyeux, et même trop révoltant ; mais l’Extrait[2] est court, et contient tout ce qui mérite d’être lu dans l’original.

Le Sermon des Cinquante[3], attribué à La Mettrie, à Dumarsais, à un grand prince[4], est tout à fait édifiant. Il y a vingt exemplaires de ces deux opuscules dans le coin du monde que j’habite. Ils ont fait beaucoup de fruit. Les sages prêtent l’Évangile aux sages ; les jeunes gens se forment, les esprits s’éclairent. Quatre ou cinq personnes à Versailles ont de ces exemplaires sacrés. J’en ai attrapé deux pour ma part, et j’en suis tout à fait édifié. Pourquoi la lampe reste-t-elle sous le boisseau[5] à Paris ? Mes frères, in hoc non laudo. Le brave libraire qui imprime des factums en faveur de l’innocence[6] ne pourrait-il pas aussi imprimer en faveur de la vérité ?

Quoi ! la Gazette ecclésiastique s’imprimera hardiment, et on ne trouvera personne qui se charge de Meslier ? J’ai vu Woolston, à Londres, vendre chez lui vingt mille exemplaires de son livre contre les miracles. Les Anglais, vainqueurs dans les quatre parties du monde, sont encore les vainqueurs des préjugés ; et nous, nous ne chassons que des jésuites, et ne chassons point les erreurs. Qu’importe d’être empoisonné par frère Berthier ou par un janséniste ? Mes frères, écrasez cette canaille. Nous n’avons pas la marine des Anglais, ayons du moins leur raison. Mes chers frères, c’est à vous à donner cette raison à nos pauvres Français.

Thieriot est parti pour embrasser nos frères. Ne pourrais-je

  1. De l’Esprit, 1758, in-4o.
  2. Voyez cet Extrait, tome XXIV, page 293.
  3. Voyez cet ouvrage, tome XXIV, page 437.
  4. Frédéric, roi de Prusse.
  5. Matthieu, v. 15.
  6. Les mémoires pour les Calas.