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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/50

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dies où un prince reconnaît dans sa maîtresse un ennemi ; et qu’enfin ce que vous croyez capable de soutenir l’intérêt serait capable de le détruire. Il m’a ajouté que les éclaircissements, les préparations, les longues histoires que cet arrangement exigerait, jetteraient un froid mortel sur un sujet qui marche avec rapidité, et qui est plein de chaleur. Je lui ai représenté toutes vos raisons, rien n’a pu le faire changer de sentiment. « Assurez, me dit-il, monsieur l’ambassadeur d’Athènes qu’en tout le reste je défère à ses avis ; que je suis pénétré pour lui de la plus vive reconnaissance ; que je lui présenterai Olympie, si jamais il passe par la Macédoine pour aller en Asie. »

Je vous confierai qu’il est infiniment touché des charmes de madame l’ambassadrice ; mais comme il n’a que soixante et neuf ans, il attend qu’il en ait soixante et douze pour faire sa déclaration. Pour moi, monsieur, il y a longtemps que je vous ai fait la mienne, et que je vous suis attaché bien respectueusement avec la plus tendre reconnaissance.

Savez-vous que je perds infiniment dans l’impératrice de Russie ? Vous ne m’en soupçonneriez pas.


4837. — À M. GEORGE KEATE[1].
Aux Délices, 10 février 1762.

Un travail forcé, monsieur, et une santé bien languissante, m’ont empêché longtemps de vous écrire ; mais vous n’en avez pas été moins présent à mon esprit et à mon cœur. J’ai toujours été indigné contre ceux qui n’ont pas souffert l’honneur que vous leur avez fait, et qu’ils ne méritaient pas. Un jour un grand seigneur, passant par un village avec d’excellent vin de Tokai, en donna à boire à des paysans, qui le trouvèrent amer, et qui crurent qu’on se moquait d’eux.

J’ai commencé l’édition de Corneille. Je suis obligé de dicter presque tout, ne pouvant guère écrire de ma main, et je tâche de faire la paix entre Corneille et Shakespeare, en attendant que nos rois daignent rendre la paix à l’Europe.

Votre Shakespeare était bien heureux, il pouvait faire des tragédies moitié prose, moitié vers, et quels vers encore ! Ils ne sont certainement pas élégants et châtiés, comme ceux de Pope, et comme le Caton d’Addison ; il se donnait la liberté de changer

  1. Communiquée à l’Illustrated London News par M. John Henderson.