Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/580

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je commence à croire que ce Caloyer[1], dont on a tant parlé, et que je cherche, n’est point imprimé ; mais s’il l’est, je vous prie de me le dire.

J’avais bien prévu, quand je vis le Dictionnaire de l’Académie, que le libraire ferait banqueroute. La veuve Brunet a très-bien justifié ma prédiction ; mais ce que je n’avais pas prévu, c’est qu’elle violerait un dépôt d’environ huit mille livres, provenant des souscriptions du Corneille. Il est triste que mes pauvres enfants perdent cette somme ; mais je me consolerai si vous ècr. l’inf…


5409. — À M. HELVÉTIUS.
15 septembre.

Mon cher philosophe, vous avez raison d’être ferme dans vos principes, parce qu’en général vos principes sont bons. Quelques expressions hasardées ont servi de prétexte aux ennemis de la raison. On n’a cause gagnée avec notre nation qu’à l’aide du plaisant et du ridicule. Votre héros Fontenelle fut en grand danger pour les Oracles, et pour la reine Mero et sa sœur Énegu[2] ; et quand il disait que s’il avait la main pleine de vérités il n’en lâcherait aucune, c’était parce qu’il en avait lâché, et qu’on lui avait donné sur les doigts. Cependant cette raison tant persécutée gagne tous les jours du terrain. On a beau faire, il arrivera en France, chez les honnêtes gens, ce qui est arrivé en Angleterre. Nous avons pris des Anglais les annuités, les rentes tournantes, les fonds d’amortissement, la construction et la manœuvre des vaisseaux, l’attraction, le calcul différentiel, les sept couleurs primitives, l’inoculation ; nous prenons insensiblement leur noble liberté de penser, et leur profond mépris pour les fadaises de l’école. Les jeunes gens se forment ; ceux qui sont destinés aux plus grandes places se sont défaits des infâmes préjugés qui avilissent une nation : il y aura toujours un grand peuple de sots, et une foule de fripons ; mais le petit nombre de penseurs se fera respecter. Voyez comme la pièce de Palissot[3] est déjà tombée dans l’oubli ; on sait par cœur les traits qui ont percé Pompignan, et l’on a oublié pour jamais son Discours[4] et son Mémoire[5].

  1. Le Catéchisme de l’Honnête Homme ; voyez tome XXIV, page 523.
  2. Mero et Enegu (Rome et Genève).
  3. Les Philosophes, comédie jouée en 1760.
  4. Voyez tome XXIV, page 111.
  5. Voyez la note, tome XXIV, page 131.