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Page:Weil - La Connaissance surnaturelle, 1950.djvu/180

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déjà un sacrifice. Noël devrait être une fête aussi douloureuse que le Vendredi Saint.

Tout homme, se plaçant du point de vue de Dieu créateur, doit regarder sa propre existence comme un sacrifice de Dieu. Je suis l’abdication de Dieu. Plus je suis, plus Dieu abdique. Or si je choisis la cause de Dieu plutôt que la mienne, je dois regarder mon existence comme étant un amoindrissement, une diminution.

Quiconque y parvient, le Christ s’installe dans son âme.

Vis-à-vis de moi-même, je dois reproduire en sens inverse l’abdication de Dieu, refuser l’existence qui m’a été donnée, et la refuser parce que Dieu est bon. Visa-vis des autres, je dois imiter dans le même sens l’abdication de Dieu, consentir à ne pas être afin qu’ils soient, et cela quoiqu’ils soient mauvais.

C’est pourquoi il faut servir les autres dans leurs besoins charnels, pour autant qu’ils sont légitimes. Car il faut les servir comme créatures. Il n’appartient pas à un être créé de les amener à renoncer à leur existence de créatures. Les servir gratuitement dans leurs besoins de créatures est ce qu’on peut faire de mieux à cet effet. Le Christ a guéri et nourri. L’échange pur de compassion et de gratitude est le rapport entre créatures qui introduit l’âme dans l’amitié de Dieu.

Tout ce qui est donné gratuitement à quelque chose de créé, comme une goutte de vin versée hors de la coupe à terre, tout cela est donné à Dieu.

On ne donne qu’à des créatures — si on brûle, on donne au feu. Mais ce qui est donné pour un salaire est donné humainement, et ce qui est donné gratuitement est donné à Dieu.

Si on pense qu’on a donné quelque chose gratuitement, cette seule pensée est un salaire.

On ne peut donc jamais savoir si on a ou non donné gratuitement.

Il faudrait faire la liste de ces pensées qui sont vraies à condition qu’on ne les pense pas et deviennent fausses dès qu’on les pense.