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Page:Weil - La Connaissance surnaturelle, 1950.djvu/202

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on est assez orgueilleux pour sentir que ce qui est inférieur à ce que d’autres possèdent est sans valeur. Car il y a un usage de l’orgueil pour l’humilité.

L’esprit de record étant aboli, si on s’installe dans telle pratique quotidienne d’une manière stable, ou si on se dit : je ferai telle chose tant de temps, et qu’on l’observe, on peut être sûr que les animaux qui sont dans l’âme en auront assez, et crieront, et hurleront, et éprouveront leur impuissance à se faire entendre. Car le corps ne leur obéira pas si la résolution a été prise dans la partie centrale de l’âme. C’est là un effet de la miséricorde de Dieu.

Si au lieu d’une résolution, c’est une contrainte extérieure contre laquelle ces animaux hurlent, c’est mieux encore. Il faut seulement que la partie éternelle de l’âme consente à ce que cette contrainte dure indéfiniment et sans aucune compensation, même spirituelle. Car compter sur un avantage spirituel, c’est sous ce nom donner une pâture aux animaux qui crient « moi ! »

Tout ce qui est conditionnel est du domaine de ces animaux. Seul l’inconditionnel leur échappe.

C’est l’énergie supplémentaire qui met l’âme dans le domaine du conditionnel. On se dit « je veux bien faire deux kilomètres si je peux trouver un œuf ». C’est que, même fatigué, on a de la force pour deux kilomètres. Mais l’épuisement total, c’est le sentiment : « Même pour sauver ma vie je ne ferais pas dix mètres. » Cela correspond à un état où l’énergie végétative est mise à nu, où la marche brûlerait une énergie indispensable aux fonctions même de la vie, aux échanges vitaux.

Au reste, la sensibilité étant un indicateur parfois défectueux, le sentiment d’épuisement peut apparaître avant que l’état d’épuisement ait commencé, ou après. Mais psychologiquement, c’est sans doute le sentiment qui compte.

Entré dans cet état, les intentions comportant un ajustement des résultats et des intentions sont remplacées par des besoins immédiats et inconditionnés. C’est alors que l’âme crie : « Il faut ! »

Il faut que je voie *** ! Il faut que je m’arrête ! Il