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Page:Weil - La Connaissance surnaturelle, 1950.djvu/297

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Aucune satisfaction n’étant un bien, aucune privation n’est un mal. Il n’y a pas de contraire du bien. On peut nommer mal l’attachement du désir aux choses terrestres. Tant que le désir est ainsi attaché, il y a l’illusion d’un couple de contraires, bien-mal.

Le désir est en lui-même le bien. S’il est mal dirigé, il est néanmoins possibilité de bien. |

C’est pourquoi il n’y a pas d’enfer autre que le néant. Là où il n’y a pas possibilité de bien, il n’y a pas désir ; il n’y a pas de créature pensante.

Une fois tout le désir tourné vers Dieu, quand on a faim, on ne désire pas manger. Toutefois (sauf le cas d’exercice ascétique) on fait tout ce qu’on peut pour se procurer à manger.

Pourquoi ? Aucun but n’est nécessaire. L’énergie corporelle se trouve être ainsi dirigée.

Sion voit un affamé, on ne désire pas qu’il reçoive de la nourriture, mais on fait tout ce qu’on peut pour la lui procurer, dût-on se priver du nécessaire.

Pourquoi ? C’est le grand mystère.

La sensibilité physique elle-même, une fois que le désir en a été arraché, a pris une qualité universelle.

Peut-on comprendre ce mystère ? La sensibilité charnelle brûlée au contact de l’amour divin, au contact du Saint-Esprit, devient universelle.

La compassion seule permet de contempler le malheur. Car son propre malheur, on en est broyé, on ne le contemple pas. Le malheur d’autrui n’est pas du malheur s’il n’y a pas compassion.

Notre sensibilité est naturellement universelle, mais elle est rendue égoïste par notre désir qui s’y attache.

Le désir entièrement tourné vers le Bien infini hors de nous exclut tout retour sur soi et par suite tout égoïsme.

C’est parce qu’on croit que le malheur est un mal qu’on tue en soi la compassion naturelle.

La compassion est naturelle, mais elle est étouffée par l’instinct de conservation. Seule la possession de toute l’âme par l’amour surnaturel restitue à la compassion naturelle son libre jeu.

Je n’ai pas encore bien compris ce mystère.