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Page:Weil - La Connaissance surnaturelle, 1950.djvu/304

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L’amour est une chose divine. S’il entre dans un cœur humain, il le brise.

Le cœur humain a été créé pour être ainsi brisé.

C’est le plus triste des gaspillages, quand il est brisé par autre chose. Mais il préfère être brisé par n’importe quoi plutôt que par l’amour divin. Car l’amour divin ne brise que les cœurs qui consentent à l’être. Ce consentement est difficile.

La parabole de l’Évangile sur le roi qui invite à un festin et reçoit des refus déguisés par toutes sortes de prétextes montre que les raisons qui nous éloignent de Dieu ne sont pas des causes, mais des prétextes de cet éloignement. Tout au moins chez ceux qui ont, fût-ce une fraction de seconde et distraitement, entendu l’appel. Un fonctionnaire ne néglige pas Dieu parce qu’il est absorbé par le souci de son avancement, mais il s’absorbe dans le souci de son avancement pour ne pas penser à Dieu. Et même des religieux, des moines, et même de ceux qui sont canonisés et semblent justement réputés saints, ont peut-être refusé l’invitation sous un prétexte pieux.

Dans le premier moment où l’appel est presque inconsciemment entendu, l’âme tout entière est médiocre, puisque la première trace infinitésimale de pureté commence seulement à y apparaître. Or ce qui est médiocre fuit la lumière. Se mettre tout entier dans la lumière quand on est médiocre, comment le supporter ? Il vaut mieux donner son désir et son énergie aux choses les plus misérables.

Et pourtant si on est assez fou pour le faire on devient lumière. Car tout ce qui est manifesté est lumière. Mais nul ne le sait d’avance.

Aussi ne peut-on aller dans la lumière que si on est absorbé par l’admiration de ce qui brille au point d’oublier complètement qu’on est médiocre. Ainsi la prostituée aux pieds du Christ.

Mais si on se tourne vers Dieu dans la pensée qu’on n’est pas médiocre, et si cette pensée n’est pas rapidement et brutalement rectifiée, alors ce n’est pas vraiment Dieu vers qui on se tourne. Car Dieu est une pierre de