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Page:Weil - La Connaissance surnaturelle, 1950.djvu/87

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Il boit un verre d’eau. L’eau est le « je t’aime » de Dieu. Il reste deux jours dans le désert sans rien trouver à boire. Le desséchement de la gorge est le « je t’aime » de Dieu. Dieu est comme une femme importune collée à son amant et lui disant tout bas dans l’oreille, pendant des heures, sans arrêter : « Je t’aime — je t’aime — je t’aime — je t’aime… »

Ceux qui sont des commençants dans l’apprentissage de ce langage croient que certains de ces mots seulement veulent dire « je t’aime ».

Ceux qui connaissent le langage savent qu’il ne s’y trouve qu’une signification.

Dieu n’a pas de mot pour dire à sa créature : je te hais.

Mais la créature a des mots pour dire à Dieu : je te hais.

En un sens la créature est plus puissante que Dieu. Elle peut haïr Dieu et Dieu ne peut pas la haïr à son tour.

Cette impuissance fait de lui une Personne impersonnelle. I] aime, non pas comme j’aime, mais comme une émeraude est verte. Il est « J’aime ».

Et moi aussi, si j’étais dans l’état de perfection, j’aimerais comme une émeraude est verte. Je serais une personne impersonnelle.

On ne peut pas aller au delà d’un certain point dans la voie de la perfection si on pense Dieu seulement comme personnel. Pour aller au delà il faut — à force de désir — se rendre semblable à une perfection impersonnelle.

La perfection du Père dont le soleil et la pluie [esprit et eau] sont aveugles au crime et à la vertu.

Ce double aspect personnel et impersonnel de Dieu est indiqué dans sa contradiction par l’Évangile à propos de la fonction judiciaire de Dieu. « Le Père m’a remis tout jugement. » Juge suprême personnel. « Je ne le jugerai pas, la parole que j’ai prononcée, c’est elle qui le jugera. » Juge suprême impersonnel.

Les hommes ont toujours éprouvé la nécessité, pour rendre sensible à leur amour les deux aspects contra-