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Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/118

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un penchant à la fausse divinité. À moins qu’on n’ait recours au modèle vu de l’autre côté du ciel…

Amour pur des créatures : non pas amour en Dieu, mais amour qui a passé par Dieu comme par le feu. Amour qui se détache complètement des créatures pour monter à Dieu et en redescend associé à l’amour créateur de Dieu.

Ainsi s’unissent les deux contraires qui déchirent l’amour humain ; aimer l’être aimé tel qu’il est et vouloir le recréer.

Amour imaginaire pour les créatures. On est attaché par une corde à tous les objets d’attachements, et une corde peut toujours se couper. On est aussi attaché par une corde au Dieu imaginaire, au Dieu pour qui l’amour est aussi attachement. Mais au Dieu réel on n’est pas attaché, et c’est pourquoi il n’y a pas de corde qui puisse être coupée. Il entre en nous. Lui seul peut entrer en nous. Toutes les autres choses restent en dehors, et nous ne connaissons d’elles que les tensions de degré et de direction variables imprimées à la corde quand il y a déplacement d’elles ou de nous.

L’amour a besoin de réalité. Aimer à travers une apparence corporelle un être imaginaire, quoi de plus atroce, le jour où l’on s’en aperçoit ? Bien plus atroce que la mort, car la mort n’empêche pas l’aimé d’avoir été.

C’est la punition du crime d’avoir nourri l’amour avec de l’imagination.