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Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/132

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Aimer Dieu à travers le mal comme tel. Aimer Dieu à travers le mal que l’on haït, en haïssant ce mal. Aimer Dieu comme auteur du mal qu’on est en train de haïr.

Le mal est à l’amour ce qu’est le mystère à l’intelligence. Comme le mystère contraint la vertu de foi à être surnaturelle, de même le mal pour la vertu de charité. Et essayer de trouver des compensations, des justifications au mal est aussi nuisible pour a charité que d’essayer d’exposer le contenu des mystères sur le plan de l’intelligence humaine.

Discours d’Ivan dans les Karamazov : « Quand même cette immense fabrique apporterait les plus extraordinaires merveilles et ne coûterait qu’une seule larme d’un seul enfant, moi je refuse. »

J’adhère complètement à ce sentiment. Aucun motif, quel qu’il soit, qu’on puisse me donner pour compenser une larme d’un enfant ne peut me faire accepter cette larme. Aucun absolument que l’intelligence puisse concevoir. Un seul, mais qui n’est intelligible qu’à l’amour surnaturel : Dieu l’a voulu. Et pour ce motif-là, j’accepterais aussi bien un monde qui ne serait que mal qu’une larme d’enfant.

L’agonie est la suprême nuit obscure dont même les parfaits ont besoin pour la pureté absolue, et pour cela il vaut mieux qu’elle soit amère.