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Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/133

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L’irréalité qui du bien enlève le bien, c’est cela qui constitue le mal. Le mal, c’est toujours la destruction de choses sensibles où il y a présence réelle du bien. Le mal est accompli par ceux qui n’ont pas connaissance de cette présence réelle. En ce sens il est vrai que nul n’est méchant volontairement. Les rapports de force donnent à l’absence le pouvoir de détruire la présence.

On ne peut contempler sans terreur l’étendue du mal que l’homme peut faire et subir.

Comment pourrait-on croire qu’il soit possible de trouver une compensation à ce mal puisque, à cause de ce mal, Dieu a souffert la crucifixion ?

Bien et mal. Réalité. Est bien ce qui donne plus de réalité aux êtres et aux choses, mal ce qui leur en enlève.

Les Romains ont fait le mal en dépouillant les villes grecques de leurs statues, parce que les villes, les temples, la vie de ces Grecs avaient moins de réalité sans les statues, et parce que les statues ne pouvaient avoir autant de réalité à Rome qu’en Grèce.

Supplications désespérées, humbles des Grecs pour conserver quelques statues : tentative désespérée pour faire passer dans l’esprit d’autrui sa propre notion des valeurs. Comprise ainsi, n’a rien de bas. Mais presque nécessairement inefficace. Devoir de comprendre et de peser le système de valeurs d’autrui, avec le sien, sur la même balance. Forger la balance.