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Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/149

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est déchiré. Nous sommes la crucifixion de Dieu. L’amour de Dieu pour nous est passion. Comment le bien pourrait-il aimer le mal sans souffrir ? Et le mal souffre aussi en aimant le bien. L’amour mutuel de Dieu et de l’homme est souffrance.

Pour que nous sentions la distance entre nous et Dieu, il faut que Dieu soit un esclave crucifié. Car nous ne sentons la distance que vers le bas. Il est beaucoup plus facile de se mettre par l’imagination à la place de Dieu créateur qu’à la place du Christ crucifié.

Les dimensions de la charité du Christ, c’est la distance entre Dieu et la créature.

La fonction de médiation, par elle-même, implique l’écartèlement…

C’est pourquoi on ne peut concevoir la descente de Dieu vers l’homme ou l’ascension de l’homme vers Dieu sans écartèlement.

Nous avons à traverser — et Dieu d’abord pour venir à nous, car il vient d’abord, — l’épaisseur infinie du temps et de l’espace. Dans les rapports entre Dieu et l’homme, l’amour est le plus grand. Il est grand comme la distance à franchir.

Pour que l’amour soit le plus grand possible, la distance est la plus grande possible. C’est pourquoi le mal peut aller jusqu’à l’extrême limite au delà de laquelle la possibilité même du bien disparaîtrait. Il a licence de toucher cette limite. Il semble parfois qu’il la dépasse.

Cela est en un sens exactement le contraire de