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Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/148

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parenté à Dieu doit être cherché dans notre mortalité.

Dieu s’épuise, à travers l’épaisseur infinie du temps et de l’espèce, pour atteindre l’âme et la séduire. Si elle se laisse arracher, ne fût-ce que la durée d’un éclair, un consentement pur et entier, alors Dieu en fait la conquête. Et quand elle est devenue une chose entièrement à lui, il l’abandonne. Il la laisse complètement seule. Et elle doit à son tour, mais à tâtons, traverser l’épaisseur infinie du temps et de l’espace, à la recherche de celui qu’elle aime. C’est ainsi que l’âme refait en sens inverse le voyage qu’a fait Dieu vers elle. Et cela, c’est la croix.

Dieu est crucifié du fait que des êtres finis, soumis à la nécessité, à l’espace et au temps, pensent.

Savoir que comme être pensant et fini, je suis Dieu crucifié.

Ressembler à Dieu, mais à Dieu crucifié.

À Dieu tout-puissant pour autant qu’il est lié par la nécessité.

Prométhée, le dieu crucifié pour avoir trop aimé les hommes. Hippolyte, l’homme puni pour avoir été trop pur et trop aimé des dieux. C’est le rapprochement de l’humain et du divin qui appelle le châtiment.

Nous sommes ce qui est le plus loin de Dieu, à l’extrême limite d’où il ne soit pas absolument impossible de revenir à lui. En notre être, Dieu