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Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/216

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renonciation la plus intime, celle de l’imagination. On veut manger tous les autres objets de désir. Le beau est ce qu’on désire sans vouloir le manger. Nous désirons que cela soit.

Rester immobile et s’unir à ce qu’on désire et dont on n’approche pas.

On s’unit à Dieu ainsi : on ne peut pas s’en approcher.

La distance est l’âme du beau.

Le regard et l’attente, c’est l’attitude qui correspond au beau. Tant qu’on peut concevoir, vouloir, souhaiter, le beau n’apparaît pas. C’est pourquoi, dans toute beauté, il y a contradiction, amertume, absence irréductibles.

Poésie : douleur et joie impossibles. Touche poignante, nostalgie. Telle est la poésie provençale et anglaise. Une joie qui, à force d’être pure et sans mélange, fait mal. Une douleur qui, à force d’être pure et sans mélange, apaise.

Beauté : un fruit qu’on regarde sans tendre la main.

De même un malheur qu’on regarde sans reculer.

Double mouvement descendant : refaire par amour ce que fait la pesanteur. Le double mou-