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Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/215

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Le beau est ce qu’on peut contempler. Une statue, un tableau qu’on peut regarder pendant des heures.

Le beau, c’est quelque chose à quoi on peut faire attention.

Musique grégorienne. Quand on chante les mêmes choses des heures chaque jour et tous les jours, ce qui est même un peu au-dessous de la suprême excellence devient insupportable et s’élimine.

Les Grecs regardaient leurs temples. Nous supportons les statues du Luxembourg parce que nous ne les regardons pas.

Un tableau tel qu’on puisse le mettre dans la cellule d’un condamné à l’isolement perpétuel, sans que ce soit une atrocité, au contraire.

Le théâtre immobile est le seul vraiment beau. Les tragédies de Shakespeare sont de second ordre, sauf Lear. Celles de Racine de troisième ordre, sauf Phèdre. Celles de Corneille de Nème ordre.

Une œuvre d’art a un auteur, et pourtant, quand elle est parfaite, elle a quelque chose d’essentiellement anonyme. Elle imite l’anonymat de l’art divin. Ainsi la beauté du monde prouve un Dieu à la fois personnel et impersonnel, et ni l’un ni l’autre.

Le beau est un attrait charnel qui tient à distance et implique une renonciation. Y compris la