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Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/233

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ISRAËL

La chrétienté est devenue totalitaire, conquérante, exterminatrice parce qu’elle n’a pas développé la notion de l’absence et de la non-action de Dieu ici-bas. Elle s’est attachée à Jéhovah autant qu’au Christ ; elle a conçu la Providence à la manière de l’Ancien Testament. Israël seul pouvait résister à Rome parce qu’il lui ressemblait, et le christianisme naissant portait ainsi la souillure romaine avant d’être la religion officielle de l’Empire. Le mal fait par Rome n’a jamais été vraiment réparé.

Dieu a fait à Moïse et à Josué des promesses purement temporelles à une époque où l’Égypte était tendue vers le salut éternel de l’âme. Les Hébreux, ayant refusé la révélation égyptienne, ont eu le Dieu qu’ils méritaient : un Dieu charnel et collectif qui n’a parlé jusqu’à l’exil à l’âme de personne (à moins que, dans les Psaumes) ?… Parmi les personnages des récits de l’Ancien Testament, Abel, Hénoch, Noé, Melchisédech, Job, Daniel seuls sont purs. Il n’est pas étonnant qu’un peuple d’esclaves fugitifs, conquérants d’une terre paradisiaque aménagée par des civilisations au labeur desquelles ils n’avaient eu aucune part et qu’ils détruisirent par des massacres, — qu’un tel peuple n’ait pu donner grand-chose de bon. Parler de « Dieu éducateur » au sujet de ce peuple est une atroce plaisanterie.