Aller au contenu

Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ici comme dans l’image de la caverne, quantité irréductible de douleur. Et comme dans la caverne, deux espèces de douleurs distinctes ; l’une volontaire, mouvement imposé au corps ankylosé, coup de frein imposé au mauvais cheval ; l’autre tout à fait involontaire, liée à la grâce elle-même, laquelle, quoiqu’elle soit l’unique source de joie pure, cause des douleurs, tant que l’état de perfection n’est pas atteint. Éblouissement des yeux, démangeaison des ailes.

La douleur volontaire n’a qu’une portée tout à fait négative, c’est simplement une condition. Platon pour en définir la nature se sert d’une image admirable, celle du dressage. Cette image est impliquée dans la métaphore du char, et cette métaphore remonte à une antiquité vertigineuse, car elle existe aussi dans de vieux textes sanscrits.

Le dressage repose sur ce qu’on appelle aujourd’hui les réflexes conditionnels. En associant à telle ou telle chose du plaisir ou de la douleur, on fabrique de nouveaux réflexes qui finissent par se produire automatiquement. Nous pouvons ainsi contraindre l’animal en nous à un comportement qui ne gêne pas l’attention quand elle est tournée vers la source de la grâce. On dresse les chiens des cirques avec des coups de fouet et des morceaux de sucre, mais beaucoup plus vite et plus facilement avec le fouet, sans compter qu’on n’a pas toujours du sucre. La douleur est donc le principal moyen. Mais elle n’a aucune valeur en soi. On peut fouetter un chien à longueur de journée sans qu’il apprenne rien. Les douleurs qu’on s’inflige ne sont utiles à rien, sont même nuisibles, si elles ne procèdent pas d’une méthode qui est fonction du but poursuivi, à savoir : que la chair ne trouble pas l’action de la grâce. La méthode est seule importante. Il ne faut pas donner à l’animal qui est en nous un seul coup de fouet de plus que le strict minimum exigé par le but. Mais pas non plus un seul coup de fouet de moins.

Remarquer que le mauvais cheval est autant une aide qu’une entrave. C’est lui qui entraîne irrésis-