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Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/122

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« Il cherche et essaye de trouver en lui-même l’image de son dieu. Il réussit parce qu’il est contraint de regarder continuellement vers son dieu. Il entre en contact avec lui par la mémoire. Le dieu entre en lui et il en reçoit les habitudes (ἔθη) et les enseignements pour autant qu’il est possible à l’homme d’avoir part à la divinité[1]. »


Celui qui aime essaie de rendre l’être aimé aussi semblable que possible à ce dieu dont il a retrouvé le souvenir, et quand l’être aimé répond à cet amour, il s’établit entre eux une amitié fondée sur une commune participation aux choses divines.

Mais la démangeaison des ailes n’est pas la seule souffrance qu’il faille subir au cours de ce processus. Il y en a une autre plus violente.

[C’est à cause du mauvais cheval, qui veut se jeter sur la chose belle. Le cheval indocile, ne se souciant ni du frein ni du fouet, tire celui qui aime vers l’être aimé par violence. Mais une fois en présence de l’être aimé « la mémoire de l’essence de la beauté lui revient ».]


« Voyant la beauté, l’âme craint, elle révère (σέϐομαι) et se renverse en arrière, et contraint les chevaux à reculer tellement violemment que les chevaux se couchent tous deux sur les flancs, l’un sans résistance, l’autre bien malgré lui. Puis tous deux s’en vont…[2] »


[Mais de nouveau le mauvais cheval entraîne tout l’attelage vers l’objet aimé.]


« Au cocher alors il arrive la même chose qu’auparavant, et plus intensément. Il fait comme s’il reculait devant une barrière. Il tire violemment en arrière le frein du cheval insolent, hors de ses dents, il ensanglante sa langue perverse et ses mâchoires, il heurte ses jambes et ses flancs contre la terre et leur inflige des tortures. Quand le cheval vicieux a subi ce traitement souvent, il est humilié et obéit à la volonté du cocher ; et lorsqu’il voit la chose belle, il en meurt de frayeur[3]. »


  1. Phèdre, 252 e-253 a.
  2. Phèdre, 254 b-c.
  3. Phèdre, 254 d-e.