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Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/125

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mande, quand on est pris d’amour pour la beauté d’une forme, d’une apparence physique, de comprendre d’abord que la beauté n’est pas une chose qui lui soit propre, mais se trouve aussi dans d’autres apparences physiques. Elle est donc quelque chose à quoi ces apparences ont part, mais qui soi-même n’apparaît pas, une chose invisible. De là s’élever à la considération de la beauté dans les actions (les vertus), puis à celle de la beauté dans les sciences et dans les doctrines philosophiques,


« orienté vers l’immense mer de la beauté[1] ».


Voici le point final de cette progression :


« Celui qui a considéré les choses belles dans l’ordre et comme il convient, parvenant à l’achèvement de l’amour, soudain contemple un certain beau d’une essence surnaturelle (θαυμαστὸν), qui est ce pourquoi on a pris toutes ces peines. Il est éternellement réel, il ne devient ni ne périt, il n’augmente ni ne décroît. Il n’est pas beau en partie et laid en partie, ni beau à tel moment et non à tel autre, ni beau à tel égard et laid à tel autre, ni beau ici et laid là, ni beau pour les uns et laid pour les autres. Et le beau ne s’y trouve pas comme un fantôme, comme c’est le cas des visages, des mains, de toutes les choses corporelles, et de chaque parole particulière, et de chaque science particulière. Et il ne réside pas dans autre chose, un vivant, ou le ciel, ou la terre, ou quoique ce soit d’autre. Il est lui-même, il est par lui-même, il est avec lui-même, il est d’essence unique, il est éternellement réel. Les autres choses belles participent toutes à lui, mais de telle manière que lorsqu’elles naissent et périssent il n’en reçoit ni accroissement ni amoindrissement ni aucune modification… Quand quelqu’un arrive à voir face à face ce beau-là, il est presque arrivé au but. Quand quelqu’un [suit l’ordre déjà indiqué] … enfin des [belles] sciences parvient à cette science, qui n’est rien d’autre que la science de ce beau lui-même,

  1. Banquet, 210 d.