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Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/50

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tradition chrétienne n’a su retrouver que très rarement la simplicité qui rend poignante chaque phrase des récits de la Passion. D’autre part, la coutume de convertir par contrainte a voilé les effets de la force sur l’âme de ceux qui la manient.

Malgré la brève ivresse causée lors de la Renaissance par la découverte des lettres grecques, le génie de la Grèce n’a pas ressuscité au cours de vingt siècles. Il en apparaît quelque chose dans Villon, Shakespeare, Cervantès, Molière, et une fois dans Racine. La misère humaine est mise à nu, à propos de l’amour, dans l’École des Femmes, dans Phèdre ; étrange siècle d’ailleurs, où, au contraire de l’âge épique, il n’était permis d’apercevoir la misère de l’homme que dans l’amour, au lieu que les effets de la force dans la guerre et dans la politique devaient toujours être enveloppés de gloire. On pourrait peut-être citer encore d’autres noms. Mais rien de ce qu’ont produit les peuples d’Europe ne vaut le premier poème connu qui soit apparu chez l’un d’eux. Ils retrouveront peut-être le génie épique quand ils sauront ne rien croire à l’abri du sort, ne jamais admirer la force, ne pas haïr les ennemis et ne pas mépriser les malheureux. Il est douteux que ce soit pour bientôt.