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Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/88

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C’est, dit Socrate, quand une foule nombreuse réunie dans une assemblée, un tribunal, un théâtre, une armée, ou tout autre lieu de rassemblement massif, blâme ou loue des paroles ou des actes avec un grand tumulte. Ils blâment et louent à l’excès, ils crient, ils frappent des mains, et les rochers mêmes et le lieu où ils se trouvent fait écho en redoublant le fracas du blâme et de la louange. »


N. B. Ceci semble particulier à Athènes, mais il faut transposer. La suite montre que Platon a en vue toute espèce de vie sociale sans exception.


« Dans de telles circonstances, quel doit être l’état du cœur d’un jeune homme ? Quelle éducation individuelle pourrait résister, ne pas être submergée par ces blâmes et ces éloges, ne pas s’en aller emportée au hasard par le flot ? Il prononcera alors certaines choses belles, certaines choses honteuses, conformément à l’avis des autres ; il s’attachera aux mêmes choses qu’eux, il deviendra semblable à eux. — Il у sera puissamment contraint, Socrate. — Et pourtant, dit Socrate, je n’ai pas encore parlé de la plus grande contrainte. — Laquelle ? — La contrainte que ces éducateurs, ces sophistes exercent sur ceux qu’ils ne persuadent pas. Ignores-tu que celui qui ne se laisse pas persuader est puni par eux d’infamie, de confiscation et de mort ? Crois-tu donc que contre cela un autre sophiste, un simple individu puisse se dresser efficacement ? Non certes, et même l’entreprendre serait une grande folie.

Car il n’y a pas, il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais d’autre enseignement concernant la moralité que celui de la multitude. Du moins pas d’autre enseignement humain. Car pour ce qui est divin il faut, selon le proverbe, faire exception. Il faut bien savoir ceci. Quiconque est sauvé et devient ce qu’il doit être alors que les cités ont une telle structure, celui-là, si l’on veut parler correctement, doit être dit sauvé par l’effet d’une prédestination qui procède de Dieu (θεοῦ μοῖραν)[1]. »


  1. République, VI, 492 a-493 a.