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Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/89

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N. B. Il est impossible d’affirmer plus catégoriquement que la grâce est l’unique source du salut, que le salut vient de Dieu et non de l’homme. Les allusions aux tribunaux, au théâtre, etc., qui se rapportent aux mœurs athéniennes, pourraient faire croire que cette conception n’a pas une portée générale ; mais les paroles « il n’y a pas, il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais… » montrent le contraire. La multitude s’impose sous tel ou tel mode dans toutes les sociétés sans exception. Il y a deux morales, la morale sociale et la morale surnaturelle, et seuls ceux qui sont illuminés par la grâce ont accès à la seconde.

La sagesse de Platon n’est pas une philosophie, une recherche de Dieu par les moyens de la raison humaine. Une telle recherche, Aristote l’a faite aussi bien qu’on peut la faire. Mais la sagesse de Platon n’est pas autre chose qu’une orientation de l’âme vers la grâce.


« Quant aux particuliers qui donnent des leçons rétribuées, la multitude les nomme des sophistes et les regarde comme des rivaux. Mais ils n’enseignent pas autre chose que les opinions de la multitude, opinions qui se forment quand la multitude est assemblée. C’est là ce qu’ils nomment sagesse. Suppose un animal gros et fort ; celui qui le soigne apprend à connaître ses colères et ses désirs, comment il faut l’approcher, par où il faut le toucher, à quels moments et par quelles causes il devient irritable ou doux, quels cris il a coutume de pousser quand il est dans telle ou telle humeur, quelles paroles sont susceptibles de l’apaiser et de l’irriter. Suppose qu’ayant appris tout cela par la pratique, à force de temps, il appelle cela une sagesse ; qu’il en compose une méthode et qu’il en fasse la matière d’un enseignement. Il ne sait pas du tout en vérité ce qui parmi ces opinions et ces désirs est beau ou laid, bon ou mauvais, juste ou injuste. Il applique tous ces termes en fonction des opinions du gros animal. Ce qui fait plaisir à l’animal, il le nomme bon, ce qui répugne à l’animal, il le nomme mauvais, et il n’a pas à ce sujet d’autre critère. Les choses nécessaires, il les nomme justes et