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Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/98

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L’âme, pour tourner son regard vers Dieu, doit donc se détourner tout entière des choses qui naissent et périssent, qui changent, des choses temporelles (équivalence exacte). Tout entière ; donc y compris la partie sensible, charnelle de l’âme qui est enracinée dans les choses sensibles et y puise la vie. Il faut la déraciner. C’est une mort. La conversion est cette mort.

La perte d’une chose ou d’un être à quoi nous tenons nous est immédiatement sensible par un abattement qui correspond à une perte d’énergie. Or il faut perdre toute l’énergie vitale qui nous est fournie par la totalité des choses et des êtres auxquels nous tenons. C’est donc bien une mort.

Ainsi le détachement total est la condition de l’amour de Dieu, et lorsque l’âme a accompli le mouvement de se détacher totalement de ce monde pour se tourner tout entière vers Dieu, elle est illuminée par la vérité qui descend de Dieu en elle.

C’est la notion même qui est au centre de la mystique chrétienne.

Remarquer toute l’âme. Cf. Saint Jean de la Croix. Le moindre attachement empêche la transformation de l’âme. Comme un seul degré de chaleur de moins que ce qu’il faut empêche que le bois ne s’allume ; comme le fil le plus ténu empêche, tant qu’il n’est pas rompu, que l’oiseau ne s’envole. C’est ce que Platon exprime avec ce seul mot : toute l’âme. (Cf. stoïciens.)

Comment s’opère la conversion ? Et d’abord, qu’est l’homme avant la conversion ? Image de la caverne. Image terrible de la misère humaine. Nous sommes ainsi (non pas avons été…).


« Pense que les hommes ont pour demeure une caverne souterraine qui a une ouverture vers la lumière sur toute sa largeur. Ils sont dans cette caverne depuis l’enfance, les jambes et le cou pris dans des chaînes. Ainsi ils doivent rester immobiles, ne pouvant regarder que devant eux, et ils ne peuvent pas tourner la tête à cause de leurs chaînes. La lumière leur vient d’un feu qui brûle au-dessus d’eux, assez loin derrière eux. Entre le feu