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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/105

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et social comme constituant à chaque instant quelque chose d’analogue à une force mesurable. Cependant, pour compléter le tableau, il faut tenir compte du fait que les hommes qui se trouvent en rapport, soit à titre de maîtres soit à titre d’esclaves, avec le phénomène du pouvoir sont inconscients de cette analogie. Les puissants, qu’ils soient prêtres, chefs militaires, rois ou capitalistes, croient toujours commander en vertu d’un droit divin ; et ceux qui leur sont soumis se sentent écrasés par une puissance qui leur paraît divine ou diabolique, mais de toutes manières surnaturelle. Toute société oppressive est cimentée par cette religion du pouvoir, qui fausse tous les rapports sociaux en permettant aux puissants d’ordonner au delà de ce qu’ils peuvent imposer ; il n’en est autrement que dans les moments d’effervescence populaire, moments où au contraire tous, esclaves révoltés et maîtres menacés, oublient combien les chaînes de l’oppression sont lourdes et solides.

Ainsi une étude scientifique de l’histoire devrait commencer par analyser les réactions exercées à chaque instant par le pouvoir sur les conditions qui lui assignent objectivement ses bornes ; et une esquisse hypothétique du jeu de ces réactions est indispensable pour guider une telle analyse, d’ailleurs beaucoup trop difficile eu égard à nos possibilités actuelles. Certaines de ces réactions sont conscientes et voulues. Tout pouvoir s’efforce consciemment, dans la mesure de ses moyens, mesure déterminée par l’organisation sociale, d’améliorer dans son propre domaine la production et le contrôle ; l’histoire en fournit maint exemple, depuis les pharaons jusqu’à nos jours, et c’est là-dessus que s’appuie la notion de despotisme éclairé. En revanche tout pouvoir s’efforce aussi, et toujours consciemment, de détruire chez ses rivaux les moyens de produire et d’administrer, et est de leur part l’objet d’une tentative analogue. Ainsi la lutte pour le pouvoir est à la