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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/106

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fois constructrice et destructrice, et amène ou un progrès ou une décadence économique selon que la construction ou la destruction l’emporte ; et il est clair que dans une civilisation déterminée la destruction s’opérera dans une mesure d’autant plus grande qu’il sera plus difficile à un pouvoir de s’étendre sans se heurter à des pouvoirs rivaux de force à peu près égale. Mais les conséquences indirectes de l’exercice du pouvoir ont beaucoup plus d’importance que les efforts conscients des puissants. Tout pouvoir, du fait même qu’il s’exerce, étend jusqu’à la limite du possible les rapports sociaux sur lesquels il repose ; ainsi le pouvoir militaire multiplie les guerres, le capital commercial multiplie les échanges. Or il arrive parfois, par une sorte de hasard providentiel, que cette extension fait surgir, par un mécanisme quelconque, des ressources nouvelles rendant possible une nouvelle extension, et ainsi de suite, à peu près comme la nourriture renforce les corps vivants en pleine croissance et leur permet ainsi de conquérir plus de nourriture encore de manière à acquérir de plus grandes forces. Tous les régimes offrent des exemples de ces hasards providentiels ; car sans de tels hasards, aucune forme de pouvoir ne pourrait durer, de sorte que les pouvoirs qui en bénéficient sont seuls à subsister. Ainsi la guerre permettait aux Romains de ravir des esclaves, c’est-à-dire des travailleurs dans la force de l’âge dont d’autres avaient eu à nourrir l’enfance ; le profit tiré du travail des esclaves permettait de renforcer l’armée, et l’armée plus forte entreprenait des guerres plus vastes qui lui valaient un butin d’esclaves nouveau et plus considérable. De même les routes que les Romains construisaient à des fins militaires facilitaient par la suite l’administration et l’exploitation des provinces et contribuaient par conséquent à entretenir des ressources pour les guerres nouvelles. Si l’on passe aux temps modernes, on voit par exemple que l’extension