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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/110

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uns pour vaincre, aux autres pour vivre, un moment vient où, de toutes parts, on cherche fiévreusement des expédients. Il n’y a aucune raison pour qu’une telle recherche ne demeure pas vaine ; et en ce cas le régime ne peut que finir par sombrer faute de ressources pour subsister, et céder la place non pas à un autre régime mieux organisé, mais à un désordre, à une misère, à une vie primitive qui durent jusqu’à ce qu’une cause quelconque fasse surgir de nouveaux rapports de force. S’il en est autrement, si la recherche de ressources nouvelles est fructueuse, de nouvelles formes de vie sociale surgissent et un changement de régime se prépare lentement et comme souterrainement. Souterrainement, car ces formes nouvelles ne peuvent se développer que pour autant qu’elles sont compatibles avec l’ordre établi et qu’elles ne présentent, tout au moins en apparence, aucun danger pour les pouvoirs constitués ; sans quoi rien ne pourrait empêcher ces pouvoirs de les anéantir, aussi longtemps qu’ils sont les plus forts. Pour que les nouvelles formes sociales l’emportent sur les anciennes, il faut qu’au préalable ce développement continu les ait amenées à jouer effectivement un rôle plus important dans le fonctionnement de l’organisme social, autrement dit qu’elles aient suscité des forces supérieures à celles dont disposent les pouvoirs officiels. Ainsi il n’y a jamais véritablement rupture de continuité, non pas même quand la transformation du régime semble l’effet d’une lutte sanglante ; car la victoire ne fait alors que consacrer des forces qui, dès avant la lutte, constituaient le facteur décisif de la vie collective, des formes sociales qui avaient commencé depuis longtemps à se substituer progressivement à celles sur lesquelles reposait le régime en décadence. C’est ainsi que, dans l’Empire romain, les barbares s’étaient mis à occuper les postes les plus importants, l’armée se disloquait peu à peu en bandes menées par des aventuriers et l’insti-