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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/128

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abstrait indiquant une suite de mouvements, et aussi peu pénétrable à l’esprit, au moment de l’exécution, qu’une recette due à la simple routine ou un rite magique. Par ailleurs une seule et même conception est applicable, avec ou sans modifications de détail, un nombre indéfini de fois ; car bien que la pensée embrasse d’un coup la série des applications possibles d’une méthode, l’homme n’est pas dispensé pour autant de les réaliser une par une toutes les fois que c’est nécessaire. Ainsi à un seul éclair de pensée correspond une quantité illimitée d’actions aveugles. Il va de soi que ceux qui reproduisent indéfiniment l’application de telle ou telle méthode de travail ne se sont souvent jamais donné la peine de la comprendre ; il arrive au reste fréquemment que chacun d’eux ne soit chargé que d’une partie de l’exécution, toujours la même, cependant que ses compagnons font le reste. Dès lors on se trouve en présence d’une situation paradoxale ; à savoir qu’il y a de la méthode dans les mouvements du travail, mais non pas dans la pensée du travailleur. On dirait que la méthode a transféré son siège de l’esprit dans la matière. C’est ce dont les machines automatiques offrent la plus frappante image. Du moment que la pensée qui a élaboré une méthode d’action n’a pas besoin d’intervenir dans l’exécution, on peut confier cette exécution à des morceaux de métal aussi bien et mieux qu’à des membres vivants ; et on se trouve ainsi devant le spectacle étrange de machines où la méthode s’est si parfaitement cristallisée en métal qu’il semble que ce soit elles qui pensent, et les hommes attachés à leur service qui soient réduits à l’état d’automates. Au reste cette opposition entre l’application et l’intelligence de la méthode se retrouve, absolument identique, dans le cadre même de la pure théorie. Pour prendre un exemple simple, il est tout à fait impossible, au moment où l’on fait une division difficile, d’avoir la théorie de la division pré-