Aller au contenu

Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ments, mais on peut l’y réduire de plus en plus ; c’est à quoi contribue chaque progrès de la technique,

Mais, par malheur, quand même on arriverait à soumettre strictement et jusque dans le détail tous les travaux sans exception à la pensée méthodique, un nouvel obstacle à la liberté surgirait aussitôt, à cause de la profonde différence de nature qui sépare la spéculation théorique et l’action. En réalité, il n’y a rien de commun entre la résolution d’un problème et l’exécution d’un travail même parfaitement méthodique, entre l’enchaînement des notions et l’enchaînement des mouvements. Celui qui s’attaque à une difficulté d’ordre théorique procède en allant du simple au complexe, du clair à l’obscur ; les mouvements du travailleur ne sont pas, eux, plus simples ou plus clairs les uns que les autres, mais simplement ceux qui précèdent sont la condition de ceux qui suivent. Par ailleurs la pensée rassemble le plus souvent ce que l’exécution doit séparer, ou sépare ce que l’exécution doit unir. C’est pourquoi, lorsqu’un travail quelconque présente à la pensée des difficultés non immédiatement surmontables, il est impossible d’unir l’examen de ces difficultés et l’exécution du travail ; l’esprit doit d’abord résoudre le problème théorique par ses procédés propres, et ensuite la solution peut être appliquée à l’action. On ne peut dire en pareil cas que l’action soit à proprement parler méthodique ; elle est conforme à la méthode, ce qui est bien différent. La différence est capitale ; car celui qui applique la méthode n’a pas besoin de la concevoir au moment où il l’applique. Bien plus, s’il s’agit de choses compliquées, il ne le peut, quand il l’aurait élaborée lui-même ; car l’attention, toujours contrainte de se porter sur le moment présent de l’exécution, ne peut guère embrasser en même temps l’enchaînement de rapports dont dépend l’ensemble de l’exécution. Dès lors ce qui est exécuté, ce n’est pas une pensée, c’est un schéma